Genèse 17.16 -19 ; 18.9-15 ; 21. 1-8.
Luc 1.39-45.
La naissance d’Isaac dans le livre de la Genèse inaugure une série de naissances fabuleuses, voire miraculeuses, série qui se poursuivra bien sûr dans le nouveau Testament par celle de Jean-Baptiste puis celle de Jésus.
Et peut-être que pour nous aussi, il y a encore des commencements irrationnels, voire extraordinaires.
Cette fête de Noël que nous célébrons chaque année, est pour chacun d’entre nous la possibilité d’une nouvelle naissance.
Une occasion de sentir que Dieu peut agir en nous.
Sara n’a jamais eu d’enfant.
Elle est stérile.
En plus elle a 90 ans au moment des faits, ce qui, vous l’avouerez, rend toute grossesse encore plus impossible.
Et son mari a 100 ans ce qui n’arrange rien !
Mais ce qui tient réellement du miracle dans ce récit, c’est qu’Isaac nait du rire de ses parents.
Il en porte le nom, puisque « Isaac » en hébreu veut dire « il rit », « il rira » ou bien « qu’il rie ! ».
Ce nom « Isaac » est comme la trace de cette filiation extraordinaire : être né d’un rire.
Des deux parents, c’est Abraham qui rit le premier.
C’est en Genèse 17 quand Dieu lui annonce la future grossesse de Sara et la naissance d’un fils qui sera l’ancêtre des rois de plusieurs peuples.
Je relis la réaction d’Abraham :
Abraham tomba face contre terre ; il rit en disant dans son cœur : Naîtrait-il un enfant d’un homme de cent ans ? Sara aurait-elle un enfant à quatre-vingt-dix ans ?
Abraham dit donc à Dieu : Oh ! qu’Ismaël vive devant toi !
Mais Dieu dit : Ce n’est pas cela ! C’est Sara, ta femme, qui va te donner un fils ; tu l’appelleras du nom d’Isaac.
Ce rire d’Abraham détermine donc Dieu à choisir le prénom « Isaac » pour l’enfant à venir.
Sara, elle, rit en Genèse 18 lors de la deuxième annonce à Abraham de la future naissance de son fils, cette fois-ci par les trois messagers de Dieu.
La conversation a lieu devant la tente d’Abraham et Sara, cachée à l’intérieur, entend tout et elle rit.
Il s’en suit une petite scène étonnante autour du rire de Sara, où le dialogue d’abord exclusivement entre Dieu et Abraham, se déplace entre Dieu et Sara.
Abraham et Sara étaient vieux, avancés en âge, et Sara avait cessé d’avoir ses règles.
Sara rit en elle-même : Maintenant que je suis usée, se dit-elle, aurais-je encore du plaisir ? D’ailleurs mon maître aussi est vieux.
Le SEIGNEUR dit à Abraham : Pourquoi donc Sara a-t-elle ri, en disant : « Pourrais-je vraiment avoir un enfant, moi qui suis vieille ?
Y a-t-il rien qui soit étonnant de la part du SEIGNEUR ?
L’année prochaine, au temps fixé, je reviendrai vers toi, et Sara aura un fils. »
Sara mentit : « Je n’ai pas ri », dit-elle ; car elle avait peur.
Mais il dit : « Si, tu as ri ! »
Ce n’est donc pas un rire qui passe inaperçu.
Pas un petit rire en passant, que l’on pourrait oublier ou nier.
Dieu, si je puis dire, mets le doigt dessus.
Ce rire qui était caché avec Sara, à l’intérieur de la tente, Dieu va le chercher et l’expose de façon incontestable.
Le rire en devient patent, il occupe le devant de la scène — je devrais dire le devant de la tente — il est comme la traduction, la manifestation, de cette déclaration fabuleuse que Dieu vient de faire : un enfant pour une femme stérile de 90 ans !
Chacune des annonces de la naissance d’Isaac que Dieu fait aux futurs parents est donc suivie par un rire de l’un des deux parents.
Ce rire objective la part de Dieu dans cette miraculeuse naissance.
Comme si c’était grâce à ce rire, ou même dans ce rire, que se concevait cet enfant.
Dans l’évangile de Luc que nous n’avons pas relu ce matin — il faudra venir demain soir si vous voulez l’entendre — l’ange répond à Marie qui s’inquiète de savoir comment elle pourrait être enceinte puisqu’elle n’a pas d’homme dans sa vie : « L’Esprit saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. »
Il y a quelque chose d’assez inquiétant dans l’image de cette ombre puissante recouvrant Marie.
Il faut dire que l’on n’imagine pas du tout Marie éclatant de rire à l’annonce de l’ange Gabriel !
Et pourtant, l’ombre puissante sur Marie et le rire de Sara sont tous deux des manifestations de l’action de Dieu dans notre vie.
Ce rire que Sara essaye de cacher à Dieu, est-ce un rire de défiance, de manque de foi ?
Ce serait pour cela que Sara aurait peur ?
Isaac, né de ce rire, est-il le témoin du manque de foi de ses parents ?
N’est-il pas plutôt le témoin d’une transformation intime que Dieu a suscité en eux ?
Les deux rires d’Abraham puis de Sara sont des rires intérieurs qui relèvent de l’intimité des parents.
Il est dit au chapitre 17 qu’« Abraham rit et se dit en son cœur » et au chapitre 18 que « Sara rit en elle-même ».
Il s’agit de l’expression, partagée par Abraham et Sara, d’une expérience intime.
C’est d’ailleurs ainsi que Sara en parle au chapitre 21.
Elle dit : « Dieu m’a suscité du rire ».
Ce rire suscité par Dieu à l’intérieur d’elle-même, c’est en traduction littérale de l’hébreu « Dieu a fait du rire pour moi ».
Dieu fait, Dieu façonne quelque chose dans l’intimité de Sarah, comme le Saint-Esprit dans celle de Marie.
Dans l’évangile selon Luc, lors de l’épisode de la visite de Marie à sa cousine Élisabeth enceinte, l’enfant dans le ventre d’Élisabeth tressaille d’allégresse et Marie dit quelques versets plus loin qu’elle est transportée d’allégresse.
Dans cette allégresse qui agite enfant et mère, ne reconnaitrons-nous pas le rire d’Abraham et de Sara, comme expression de l’agir divin en eux et de la transformation qui est en train de s’y produire ?
En Gn 18,14, après que Sara ait ri à l’annonce par Dieu de la naissance de son fils l’année suivante, Dieu s’exclame : « y a-t-il rien qui soit étonnant de la part de Dieu ? ».
Dans l’évangile de Luc, il est dit à propos d’Élisabeth qui, comme Sara, était stérile et qui est enceinte dans sa vieillesse, que « Rien n’est impossible à Dieu ».
Il n’est pas anodin que dans l’Ancien Testament les matriarches, c’est-à-dire les femmes des trois patriarches, soient stériles : Sara la femme d’Abraham, Rébecca la femme d’Isaac et Rachel la femme de Jacob.
Dans la grande famille des patriarches qui ont été élus par Dieu pour être les pères de son peuple et avec qui il conclut son alliance éternelle, les femmes sont stériles.
On pourrait presque dire que dans l’Ancien Testament, plus les femmes sont stériles et plus elles ont un rôle important à jouer.
Leur stérilité leur permet d’être distinguées et leur confère un statut particulier vis-à-vis de Dieu.
Sara est très vieille et très stérile mais la raison divine ne passe pas par les mêmes voies que la raison humaine et Sara sera bel et bien enceinte, l’enfant naîtra et sera prénommé Isaac, il deviendra l’ancêtre d’une nombreuse et royale descendance.
Le rire de Sara, c’est la possibilité de croire à une descendance qui n’était plus espérée depuis longtemps.
C’est un pied-de-nez à la vieillesse, à la mort et à toutes les situations sans issue.
Alors que le seul objectif encore espérable à cet âge-là est la mort, le rire peut transformer la vie et le corps en lieu de plaisir, de fécondité et même de débordement puisqu’avec ce rire ce n’est pas un enfant mais toute une descendance qui est annoncée.
À l’époque d’Élisabeth et de Marie aussi, la situation semble sans issue.
Les responsables du judaïsme du Proche-Orient Ancien s’enferment dans l’étude et le respect pointilleux de la Loi.
Le peuple est entravé par le puissant empire romain, l’espérance n’est plus au programme.
Marie n’est ni vieille ni stérile, mais, et cela revient presque au même, elle n’est pas mariée. Rien de bien ne peut sortir d’elle.
Je ne suis pas loin de penser que pour nous aussi la situation est sans issue.
Il devient de plus en plus difficile de se projeter dans une espérance qui est grignotée dans toutes ses dimensions.
Bien sûr dans les faits, notre vie n’est pas si mal et le drame n’est probablement notre quotidien.
Mais élaborer l’avenir, parce que l’espérance, c’est exactement ça, élaborer l’avenir devient difficile.
Notre planète, à force de souffrir, nous devient hostile et bientôt les conditions propices à la vie ne seront plus assurées.
Elles ne le sont déjà plus pour tous.
L’exclusion et le repli sur soi gagnent du terrain et deviennent la nouvelle règle du jeu un peu partout dans le monde.
L’intolérance renait et retrouve en l’être humain des racines profondes que nous espérions éradiquées depuis des siècles, ou tout au moins depuis 70 ans.
Et là dans ce contexte, depuis plus de 2000 ans, nous célébrons chaque année la naissance qui a redonné l’espérance.
Pourquoi refaisons-nous chaque année le rituel d’aller au culte, de lire les récits de la naissance de Jésus que nous connaissons presque par cœur, de chanter les mêmes chants, de se souhaiter « joyeux Noël » ? Cette fête de Noël que nous célébrons chaque année, est pour chacun d’entre nous une nouvelle naissance.
Une occasion de sentir que Dieu peut agir en nous.
Il peut nous susciter du rire.
Il peut nous couvrir de son ombre.
Il peut entrer dans notre intimité et agir en nous pour que nous soyons l’occasion de la naissance d’une espérance.
Vous n’y croyez pas ?
Sara, Élisabeth et Marie n’ont plus n’y croyaient pas, et pourtant c’est arrivé.
Amen.
Plaisance, dimanche 23 décembre 2018 — Pasteure Marie-Pierre Cournot