Marc 8.22-26
De nos jours, on peut, si l’on passe du temps sur internet, trouver de nombreux récits de miracles, ou même des vidéos, tous plus fantastiques les uns que les autres.
Ce sont souvent des guérisons sensationnelles, immédiates et totales, racontées ou filmées de façon assez théâtrales.
Les personnes ainsi guéries, et les guérisseurs, pasteurs ou autres, pensent le plus souvent que c’est leur foi en Jésus qui a rendu ce miracle possible.
Et c’est peut-être le cas, laissons chacun est libre de son interprétation.
Bien sûr, ce genre de miracles n’est pas tellement courant dans nos églises de tradition réformée où l’on a plutôt le sens de la retenue et de la discrétion.
L’épisode de guérison d’un aveugle que nous venons de lire dans l’évangile de Marc a toutes les caractéristiques d’un anti-miracle.
Premièrement, en cinq versets, pas un de plus, c’est pesé-emballé !
Un récit très court, pas de quoi en faire une histoire.
Deuxièmement, le processus.
Dans un miracle on attend quelque chose d’instantané.
Puisque de toute façon c’est impossible, inexplicable par la raison, on attend que ce qui arrive de miraculeux arrive en plus de façon foudroyante : que le paralysé se lève d’un seul mouvement, que le sourd entende subitement, que le mort revienne tout d’un coup à la pleine vie, et que l’aveugle recouvre ses 10/10ème de vue instantanément !
Et bien justement ce n’est pas ce qui se passe ici.
La guérison n’est pas automatique, il faut que Jésus s’y reprenne à deux fois.
Il faut que le processus se fasse.
Déjà dans le livre de Tobit, écrit probablement entre deux et trois siècles avant l’évangile de Marc, la guérison n’est pas instantanée.
On nous décrit toute le procédé thérapeutique : Tobias souffle d’abord dans les yeux de son père, puis applique le remède, le maintient appliqué, puis frotte les yeux pour éliminer ce qui l’empêchait de voir.
Revenons à Marc.
Dans la conversation qui précède, celle que Jésus a avec ses disciples dans le bateau, il leur dit :
« Pourquoi raisonnez-vous en vous disant que vous n’avez pas de pains ? Vous ne comprenez pas encore ? Vous ne saisissez pas ? Êtes-vous donc obtus ?
Vous avez des yeux, et vous ne voyez pas ? »
Et un peu plus loin : « Vous ne comprenez pas encore ? ».
Par la bouche de Jésus lui-même, Marc nous indique que c’est dans un sens symbolique qu’il faut lire le récit de guérison qui suit.
La cécité, ce n’est pas tant la pathologie de l’œil, mais le signe de l’aveuglement, de l’incompréhension, d’une certaine confusion, en tout cas de la difficulté à comprendre qui est Jésus et ce qu’il peut faire pour nous.
Parce que si pour certains la découverte de Dieu ou de Jésus se fait « comme par miracle », instantanément, comme dans une révélation, souvent elle se fait pas en une fois mais tout au long d’un chemin parfois difficile, avec des étapes.
Cela peut-être le chemin de toute une vie.
Et même si au départ, il peut y avoir une expérience originelle, comme par exemple la révélation que l’apôtre Paul a eu sur le chemin de Damas, rien n’est terminé, tout est encore à faire, l’expérience doit être saisie, assimilée et enrichie.
Et je pense que c’est ça qui lui donne toute sa valeur.
La relation que nous avons avec Dieu ou avec le Christ, est une relation qui se construit, qui se travaille de jours en jours.
La réduire à un instant révélateur ce serait l’appauvrir et lui ôter toute capacité à nous transformer.
La troisième caractéristique qui fait de cette guérison de l’aveugle un anti miracle, c’est que Jésus prend bien soin de guérir l’aveugle à l’écart, il l’emmène pour cela à l’extérieur du village, loin de la place publique et hors de la vue de tous.
Jésus guérit comme en douce, comme un petit geste qui passera inaperçu.
Comme souvent dans l’évangile de Marc, Jésus tient à ce que ce qu’il a fait reste discret : les personnes guéries ont souvent consigne de se taire, voire même, comme ici, de ne pas rentrer chez eux.
On est bien loin d’un quelconque aspect événementiel que l’on pourrait imaginer entourant un miracle.
J’ai regardé il y a peu le film « L’apparition » de Xavier Giannoli et si vous ne l’avez pas vu, je vous le recommande.
C’est l’histoire d’un reporter de guerre (joué par Vincent Lindon) pas du tout concerné par les questions religieuses et spirituelles, et à qui le Vatican demande de participer à la commission d’enquête chargée de décider si l’apparition de la vierge à une jeune fille d’un trou perdu des Alpes est un vrai miracle ou une supercherie.
À côté du travail minutieux de la commission canonique et de la quête personnelle que le reporter va entamer à la recherche de la vérité, le film décrit l’engouement des foules, qui enflammées par le curé du village, se pressent autour de la jeune fille, lui vouant un culte quasi divin et entraînant en retour chez elle une attitude mystique assez radicale.
Les autocars ne savent plus où stationner, les radios et les télés se disputent les retransmissions, on fabrique des chapelles et des campements de fortune pour accueillir tous les pèlerins.
Et les organisateurs de campagnes internationales de dons soutenues par un commerce d’objets saints bénis par la jeune fille s’en donnent à cœur joie.
Dans notre passage de l’évangile de Marc rien de tout cela.
On est symboliquement en dehors du monde, loin du village où il est interdit de retourner.
D’ailleurs le vrai miracle opéré par Jésus est peut-être là.
Des personnes amènent l’aveugle à Jésus et le supplient de le toucher de la main pour le guérir.
Il le touchera effectivement, mais ce sera pour lui prendre la main et l’emmener à l’extérieur.
Mais à l’extérieur de quoi ?
De cette foule qui l’a catalogué aveugle, qui dirige ses déplacements et parle à sa place ?
Parce qu’il est étonnant de constater que cet aveugle a l’air également muet puisque ce sont d’autres personnes qui s’expriment pour lui et que lui ne prononcera ses premières paroles qu’après que Jésus lui ai craché dessus et imposé les mains.
Je ne sais pas exactement laquelle de des facultés de l’aveugle était atteinte, la vue, la parole ou la mobilité ? Les trois ? Encore une autre ?
En tout cas la vue la parole et la mobilité ont toutes les trois fort à faire avec les relations que nous entretenons avec les autres.
De son incapacité à assurer et assumer sa place en société et dans le monde, Jésus le sort.
En le prenant par la main, en restaurant une relation avec lui.
Une relation personnelle, loin de la foule et du monde.
Une relation qui va lui permettre de se remettre en relation avec le monde dont il était exclu.
Nous tous qui sommes ici ce dimanche pour avancer à notre rythme sur le chemin de Dieu, arrêtons-nous quelques instants pour réfléchir comment nous sommes arrivés là.
Avons-nous été amenés par quelqu’un comme l’aveugle devant Jésus ?
Y a-t-il une expérience fondatrice au départ ?
Il y a sûrement dans nos histoires, différentes rencontres, différentes influences qui font que nous sommes là ce matin.
Peut-être ces personnes qui nous ont guidés sont-elles tombées dans l’oubli comme celles qui ont amené l’aveugle devant Jésus.
……
Y a-t-il eu aussi un moment dans notre histoire où Jésus, ou bien Dieu c’est selon la sensibilité de chacun, nous a pris par la main, pour nous sortir de l’anonymat du monde et instaurer à l’écart, pour nous seul, notre relation avec lui ?
Un moment pour nous dire ce lien privilégié que Dieu entretient avec chacun d’entre nous.
……
Peut-être n’était-ce pas à un moment précis et repérable, mais un processus plus long comme la guérison de l’aveugle.
Rien de spectaculaire et peut-être personne pour s’en rendre compte.
Ou au contraire comme dans d’autres miracles, une expérience saisissante devant des témoins.
Dans l’histoire de Tobit, la guérison est possible aussi grâce à une personne extérieure, l’ange Raphaël.
Raphaël en hébreu cela veut dire Dieu guérit.
Mais la guérison du père, c’est le fils Tobias qui la rend possible, quand il revient de ses noces.
La guérison du père est intimement liée au mariage du fils et donc à la promesse de descendance.
Cette guérison est l’ouverture d’un avenir.
Marc ne nous dit rien de tel dans son évangile, mais pourtant, dans ces lignes nous voyons bien (c’est le cas de le dire), que l’espérance devient possible pour cet aveugle guéri.
Si rien n’était fondamentalement changé, pourquoi lui demander de ne pas retourner dans son village ?
Il est devenu autonome, il peut voir, se déplacer et même parler par lui-même.
Il est devenu un être à part entière, pensant et décidant.
La vie de cet homme est maintenant ailleurs que dans son ancien entourage où il ne sera jamais autre chose qu’un aveugle dépendant.
Et dans ces lignes, nous lisons aussi, que pour nous, il est possible d’y voir plus clair dans notre vie.
De quitter notre aveuglement et de voir par nous-même et d’être autonome.
De décider pour nous-mêmes.
Cela ne se fait pas comme par miracle, mais grâce à l’intervention de tiers, parfois anonymes et surtout par le temps nécessaire à la rencontre avec Dieu et Jésus.
Ce n’est que pour chacun de nous que cette histoire devient une histoire miraculeuse au fil du temps, des recherches personnelles et de questionnements.
Ce n’est probablement pas de la salive que nous recevons dans les yeux, mais, et c’est si proche, c’est la Parole de Dieu qui nous permet de voir.
Amen
Plaisance, dimanche 3 mars 2019 — Pasteure Marie-Pierre Cournot