Esaïe 11.1-10 • Matthieu 3.1-12 • Esaïe 40.3-5
« En ces jours-là », on ne sait pas quand c’est, c’est en fait extrêmement imprécis.
C’est une référence directe à l’Ancien Testament où cette expression est très fréquente et où elle exprime l’idée que l’on s’inscrit dans l’histoire de ce qui avait été annoncé par les prophètes.
« En ces jours-là parut Jean le Baptiseur » : le verbe paraître est aussi ce que j’appelle un verbe théologique, c’est à dire qui a un sens particulier dans la Bible, en l’occurrence celui de faire savoir que ce qui paraît là est une étape dans l’accomplissement du plan de Dieu et donc de l’Évangile.
Le dernier verset du premier texte d’Esaïe commence par ces mêmes mots, « en ces jours-là ».
Il prophétise qu’ « en ces jours-là » un rameau sortira du tronc de Jessé.
Jessé c’est le père du roi David, il s’agit donc de l’annonce qu’un descendant de la grande lignée royale davidique viendra se tenir, « comme une bannière pour les peuples », c’est-à-dire leur donner un sens, les diriger vers un destin que l’on suppose prestigieux.
Grâce à une généalogie un peu tortueuse et pleine d’accidents – on la trouve au début des évangiles de Matthieu et de Luc – qui place Jésus dans la descendance de David, le Nouveau Testament s’appuie sur cette prophétie d’Esaïe pour affirmer que Jésus est l’héritier tant attendu, restaurateur de la lignée davidique.
C’est un autre passage d’Esaïe, le deuxième que nous avons lu, que Jean-Baptiste cite : « Préparez les chemins du Seigneur, rendez droits ses sentiers ! »
C’est une autre traduction de « Aplanissez une route ».
L’idée c’est que le relief soit plat : « Que toute vallée soit élevée, que toute montagne et toute colline soient abaissées ! Que les reliefs se changent en terrain plat et les escarpements en vallons ! »
Il faut imaginer à l’époque, que tous les mouvements du paysage sont autant de difficultés pour se déplacer, autant de causes d’accidents et autant de cachettes ou de possibilités de se retrancher qui jouent un rôle important en temps de guerre.
Et surtout, bien avant l’apparition du bulldozer et de la dynamite, le relief est inébranlable sauf par une volonté divine, comme le sont, pense-t-on, les tremblements de terre ou les éboulements.
Rien d’humain ne peut sensiblement modifier les creux et les saillies du panorama.
Il est inimaginable de construire une route plate là où il y a une vallée ou une montagne.
En ce sens, le modelé naturel de la géographie est sacré, inaccessible à la puissance humaine, il en devient presque tabou.
Quand Alexandre le Grand en 332 av. J.-C. tentera, pour conquérir la ville phénicienne de Tyr installée sur une île au large de la côte, de construire une digue reliant Tyr à la côte, c’est un bouleversement comparable à la révolution copernicienne.
Alexandre a osé modifier la géographie !
Et de quoi est-il question ici, chez Esaïe repris par Matthieu ?
Justement de passer outre l’impossibilité fondamentale de toucher au relief sacré de la terre.
Esaïe nous met en condition pour comprendre que ce qui va arriver va être un changement radical de nos repères.
Et quand on lit la description des bouleversements que son application de la justice va entraîner, on comprend à quel point c’est renversant !
« Le loup séjournera avec le mouton, la panthère se couchera avec le chevreau ;
le taurillon, le jeune lion et les bêtes grasses seront ensemble,
et un petit garçon les conduira. » etc …
C’est la justice de ce futur Seigneur, descendant de David, qui permet tous ces miracles.
Peut-être faut-il s’arrêter un instant pour parler de cette justice.
Lors du deuxième atelier sur l’argent que nous avons eu il y a dix jours, Patrice Rolin a très bien défini les trois dimensions que revêt le mot justice dans la Bible :
la dimension de la légalité, qui est finalement la moins fréquente
la dimension de justice sociale, très fréquente en particulier chez certains prophètes et dans les évangiles
et surtout la dimension de justesse, c’est-à-dire de juste positionnement par rapport à soi-même, aux autres, et je rajouterai par rapport à Dieu.
Dans le passage d’Esaïe qui nous parle de ce monde idyllique et chimérique, ce sont à mon avis les trois dimension de la justice dont il est question.
Ce monde qui nous est décrit est celui qui adviendra quand la justice sera reine, quand tout le monde sera dans la légalité bien sûr mais aussi quand plus personne n’aspirera à être fort ou riche alors que son voisin est faible ou pauvre.
Quand une juste connaissance de sa propre relation à Dieu permettra à chacun de se sentir à sa place et en bonne intelligence avec les autres.
Quand la géographie des êtres humains ne comptera plus de côtes escarpées et d’abymes insondables.
Quand la plus courte distance entre deux personnes sera une ligne droite, quand chacun pourra voir l’autre à perte de vue.
Quand le panorama s’ouvrira clairement et infiniment sur Dieu.
On comprend pourquoi l’évangéliste Matthieu qui est imprégné de ces textes d’Esaïe, nous exhorte à travers la bouche de Jean Baptiste à « changer radicalement » pour y parvenir !
Il ne servira à rien de se réclamer de la famille d’Abraham, comme tentent de le faire Pharisiens et Saducéens.
Aucun pedigree ne sera plus valable.
Même de vulgaires cailloux ont plus de chance d’obtenir le statut d’enfants d’Abraham que nous !
Nous serons comme nus, face à nous-mêmes, face à Dieu.
Jean Baptiste parle à deux reprises de produire du fruit.
« Produisez donc un fruit digne du changement radical ! »
Puis un peu plus loin « tout arbre qui ne produit pas de beaux fruit est coupé et jeté au feu. »
La métaphore agraire se poursuit avec l’image de Jésus qui, la fourche à la main, sépare le grain de la paille sur l’aire de battage du blé.
Et la paille part au feu.
Quels sont ces fruits qu’il nous faut produire pour éviter de brûler, comme la paille, dans un feu qui ne s’éteint pas ?
Peut-être enlever nos œillères pour élargir notre panorama jusqu’à avoir une vision à l’infini qui englobe tous les être humains dans un même élan, jusqu’à nous rapprocher de Dieu ?
À nous d’aplanir les obstacles qui nous séparent des autres et de Dieu.
Et de rendre droits nos sentiers pour ne pas perdre trop de temps en détours et marche arrière.
De rendre nos relations justes, dans tous le sens du terme comme nous l’avons vu tout à l’heure.
De décider qu’il y a dans notre monde une place pour chacun, sans se cacher derrières des montagnes ou enfouir sa tête dans des vallées comme les autruches.
Ce changement radical, c’est de savoir que l’on peut changer les choses et de le faire.
Frères et sœurs, aplanissons, aplanissons !
Nous avons tout à y gagner : est-ce que nous ne rêvons pas tous d’un monde où le loup séjourne avec le mouton ?
Amen
Plaisance, dimanche 8 octobre 2019, 2e dimanche de l’Avent — Pasteure Marie-Pierre Cournot