Matthieu 1,1-16
L’évangile de Matthieu est le premier des quatre évangiles de notre Bible.
Pas le plus ancien, puisque c’est celui de Marc qui a été écrit en premier.
Mais l’évangile de Matthieu a été placé en premier à cause de ce début que nous venons de lire, la généalogie de Jésus qui inaugure cet évangile et remonte aux origines de Jésus.
On voit comme il est essentiel pour Matthieu d’ancrer Jésus dans une filiation humaine.
Il est essentiel pour Matthieu que Jésus soit comme chacun et chacune de nous, issu d’une longue succession d’êtres humains.
Personne n’est né à partir de rien.
Que l’on soit plus ou moins attaché à nos ancêtres, que l’on sache ou que l’on ignore qui ils sont, le fait est que nous avons tous des attaches, des références, biologiques ou symboliques.
Pour Jésus, l’ancêtre ultime, celui qui donne sens à cette extraordinaire lignée, le référent en quelque sorte, c’est un homme, c’est Abraham.
Luc qui insère également dans son évangile une généalogie de Jésus, la fait remonter non pas jusqu’à Abraham mais plusieurs générations au-dessus, jusqu’à Dieu par l’intermédiaire d’Adam qu’il présente comme ancêtre d’Abraham et comme fils de Dieu.
Chez Matthieu, la généalogie descend d’Abraham à Jésus (« Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob » … etc), alors que chez Luc elle monte de Jésus à Dieu : « Jésus était, à ce qu’on pensait, fils de Joseph, fils de Héli » … on passe par David, par Abraham et on remonte en tout 77 générations, jusqu’à « fils d’Enos, fils de Seth, fils d’Adam, fils de Dieu. »
Chez Luc, Jésus est avant tout fils de Dieu, chez Matthieu il est avant tout fils d’hommes et en premier d’Abraham, le patriarche par excellence du peuple hébreu.
Pour Matthieu il est primordial de présenter son héros comme le descendant légitime de cette grande famille qu’est le peuple juif.
Cela veut dire que Jésus porte en lui l’héritage de ce peuple qui a découvert le monothéisme, qui s’est fondé et a façonné son identité autour du dieu unique, ce Dieu qui dans quelques versets va endosser une nouvelle identité, celle d’un père.
Matthieu part donc d’Abraham et descend, génération par génération, en ligne droite, jusqu’à Jésus, ou plus exactement jusqu’à Joseph son père.
En effet, dans la dernière ligne de cette cascade d’engendrements – il y a 39 fois le verbe engendrer – il y a comme un petit pas de côté, comme une embardée.
D’Abraham on descend jusqu’à Joseph et là, un hiatus puisque Joseph n’engendre personne.
Là où on attendait « Jacob engendra Joseph, Joseph, avec Marie, engendra Jésus », on a « Jacob engendra Joseph l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus » ou plus exactement pour respecter le texte grec de Matthieu « de laquelle fût engendré Jésus ».
C’est le même verbe « engendrer », mais tout à coup il est à la voix passive : « Jésus fût engendré ».
C’est ce que l’on appelle « le passif divin », une façon discrète mais claire de faire intervenir Dieu sans le nommer.
Joseph est présenté comme l’époux de Marie, ce qui à l’époque est tout à fait anormal, on ne présente pas les hommes comme mari de leur femme, mais le femmes comme épouse de leur mari !
Et la filiation continue, non à partir de Joseph, mais à partir de Marie.
Il y a donc quelque chose de décalé dans la généalogie de Jésus.
Et pour que les choses soient claires, Matthieu rajoute « Jésus, celui qu’on appelle le Christ », le Christ, c’est-à-dire le Messie, celui que Dieu a reconnu comme étant son envoyé.
Cela arrive parfois dans nos généalogies, qu’il y ait ce genre de pas de côté.
On essaie souvent de les cacher par des artifices divers, mais souvent il en reste des traces.
Quoi que nous fassions, nous ne nous inscrivons pas dans des lignées rectilignes.
Ce qui nourrit nos ascendances vient parfois de côté, parfois de très loin.
Et nous sommes aussi les enfants de deux lignées, d’une part celle des êtres humains (probablement sans remonter jusqu’à Abraham) et d’autre part celle de Dieu.
Nous aussi nous avons été engendrés, avec ce passif divin qui témoigne de l’irruption de notre ascendance divine dans notre généalogie humaine.
Je crois qu’aucune de ces deux généalogies n’exclue l’autre, même si chacune nous détermine entièrement.
Nous sommes à la fois entièrement enfants de nos parents et entièrement engendrés par Dieu.
Même si en y réfléchissant bien, l’histoire de Jésus nous montre enfant qui a deux pères, dont aucun des deux pères n’est un père biologique au sens où nous l’entendons de nos jours.
A l’heure où notre société réfléchit beaucoup à des questions d’éthiques familiales, ce n’est en tout cas pas dans la Bible que l’on trouve des arguments pour le schéma d’un couple composé d’un père et d’une mère qui ont biologiquement engendré leur enfant.
Dans l’arbre généalogique de Jésus, il y a entre Abraham et Marie, d’autres éléments sur lesquels bute la fastidieuse, mais logique, énumération des générations.
Par exemple, il y a deux fois mention d’une fratrie.
Il y a d’abord « Jacob engendra Juda et ses frères ».
Cette fratrie, ce sont les douze fils de Jacob, pères des douze tribus d’Israël.
Bien sûr c’est Juda qui est mis en avant car c’est par lui que la transmission se fera.
Mais on a, en trois mots, tout le panorama de cette grande histoire devant les yeux.
Les inégalités, les jalousies et les luttes entre les frères, dont finalement, la très grande majorité disparaîtra, avec toutes leur descendance, au moment de la chute du Royaume du nord en 721 avant J.-C., sans laisser de trace et sans que l’on sache encore à ce jour ce qu’ils sont devenus.
Ensuite, il y a « Josias engendra Jékonia et ses frères au temps de l’exil à Babylone »
Deuxième grande date de l’histoire de ce peuple, la prise de Jérusalem par les Babyloniens en 585 avant J.-C. et l’exil forcé à Babylone d’une partie de la population.
La naissance de Jésus s’inscrit donc dans les grands moments de l’histoire du peuple hébreu.
Entre ces deux fratries, il y a David qui est le seul à être désigné d’un titre, « le roi David ».
Il s’agit pour Matthieu d’insister sur le lien entre Jésus et David puisque l’Ancien Testament avait dit que le Messie serait issu de la maison de David.
Cela confère à Jésus, comme par translation, toutes les caractéristiques de ce grand roi.
À partir de la mention de David et jusqu’à Jekonia tous les noms cités sont des noms de rois.
Quatorze générations de rois du royaume de Juda.
Pas que des grands rois, loin de là !
Certains sont présentés très négativement dans les livres des Rois.
Et Matthieu n’a pas hésité à mettre dans la généalogie de Jésus des rois très décriés, comme le roi Manassé.
Les ancêtres de Jésus n’étaient décidément pas que de grands personnages parfaits et recommandables !
Mais seulement des êtres humains avec toutes leurs imperfections, leurs faiblesses, leur incompétences, voire leur méchanceté.
Comme pour nous tous.
Il y a certainement de tout dans nos ancêtres.
Comme il y aura de tout dans notre descendance.
Mais Dieu n’exclut personne, il a choisi comme fils celui qui descendait de ces ancêtres pas tous très reluisants !
Dieu ne regarde pas nos qualités pour faire de nous ses enfants.
Nous avons notre généalogie humaine, faite d’êtres humains, d’hommes et de femmes différents, qui s’inscrivent dans l’histoire de l’humanité.
Et puis il y a aussi notre autre filiation, celle qui continue la première mais en faisant un pas de côté.
Celle qui fait que nous avons été, tous, engendrés par Dieu.
C’est comme une deuxième naissance.
Et comme pour toute naissance, nous n’avons pas à montrer patte blanche pour naître !
Amen
Quand j’ai dit que notre généalogie est faite d’hommes et de femmes, vous me direz mais où sont les femmes ici ?
Et bien dans la généalogie de Jésus présentée par Matthieu, il y en a cinq, quatre en plus de Marie.
Tamar, Rahab, Ruth et Bethsabée, la femme d’Urie.
Pourquoi Matthieu mentionne-t-il ces quatre-là et pas d’autres bien plus célèbres comme Sarah par exemple, la femme d’Abraham ?
Ce qu’elles ont de particulier ces quatre-là, entre autre, c’est d’être toutes les quatre des étrangères et fort peu recommandables de surcroît, mais grâce à elles une brèche se fait dans l’impasse où était la généalogie, arrêtée faute de descendants.
La suite mercredi à 10h30, nous continuerons sur la généalogie de Jésus.
Plaisance, dimanche 22 décembre 2019 — Pasteure Marie-Pierre Cournot