Prédication dimanche 19 avril 2020 – Jean 20,19-31 – Pasteure Marie-Pierre Cournot
Est-ce que vos amis et vos familles vous manquent ?
C’est dur de ne pouvoir voir, rencontrer, s’approcher de personne.
Nous sommes à la fin de l’évangile de Jean, ce sont les derniers versets de la version d’origine puisque le chapitre suivant, le 21, le dernier dans nos Bibles, a vraisemblablement été rajouté par des élèves après la rédaction principale de cet évangile. Nous venons donc de lire les derniers mots de Jésus.
Dans son corps de ressuscité, Jésus se tient devant les disciples, ils peuvent le voir et même sentir son souffle sur eux.
Il est clair, en tout cas dans l’évangile de Jean, que Jésus ne se présente pas aux disciples sous la forme de son corps humain, d’ailleurs Jean prend bien soin de nous préciser qu’il est passé à travers les murs de la pièce comme pour éliminer toute possibilité que Jésus soit là en tant qu’homme. De plus, dans cet évangile, Jésus quitte le monde humain et son apparence humaine pour retourner vers son père au moment de sa mort sur la croix, quand il dit « voilà tout est accompli ».
Mais là, dans cette pièce fermée à clef, grâce à la vue et à son souffle qui les touche, la présence de Jésus se fait réelle et physique pour les disciples. Elle les implique même, puisque Jésus les envoie vers le monde, en vertu du fait que Dieu l’y a lui-même envoyé.
Thomas, lui, le grand absent qui n’était pas là au moment de ces retrouvailles, ne veut pas croire par ouï-dire, il ne veut pas croire sur preuve virtuelle, il veut voir le Christ et le toucher « pour de vrai ». Il veut, littéralement, pénétrer dans le corps du Christ : planter ses doigts à la place des clous, enfoncer sa main dans la blessure que la lance des soldats a faite à son flanc. Comme s’il voulait malaxer la chair du Christ pour la faire sienne, la pétrir comme une pâte pour qu’elle lève et devienne vivante et nourrissante pour lui. Comme pour se l’amalgamer, pour l’incorporer.
Thomas, celui qu’on appelle Didyme, c’est à dire le jumeau, cherche peut-être là un contact intime (je ne veux pas dire sexuel évidemment, mais plutôt essentiel, viscéral) avec un deuxième lui-même. Il veut expérimenter que le Christ est bien là dans son corps humain, comme il s’y attendait, dans le corps du Jésus qu’il a connu. Parce que pour Thomas, il n’y a pas de vie sans vie physique, il n’y a de relations que celles qui mettent en jeu des corps de matière.
Quand huit jours plus tard, Jésus lui propose de se livrer à cette expérience, Thomas y renonce, il ne mettra pas ses doigts ni sa main à l’intérieur du Christ. Il se contentera d’un rapport plus éloigné, plus éthéré : la vue. En quelque sorte une relation à distance. Il découvre grâce au Christ ressuscité que dans l’immatériel, il y a aussi de la vie. Que le Christ peut être ressuscité pour lui sans qu’il est besoin de se nourrir de sa chair.
Et c’est là qu’il devient croyant. Quand il cesse de vouloir s’approprier l’homme Jésus, quand il fait le deuil de sa personne, de sa résurrection humaine. Quand il laisse le Christ être le fils de Dieu. Quand Thomas accepte de ne plus avoir la main sur le Christ, il devient croyant. Thomas qui voulait toucher croira finalement en ne faisant que voir.
Mais le Christ nous demande une étape supplémentaire : « Parce que tu m’as vu tu as cru ; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru. » Ce seront les dernières paroles de Jésus. Le testament qu’il nous laisse : « vous ne pourrez plus me voir, il faudra croire sans me voir. Et a fortiori, sans me toucher. Notre relation ne sera plus physique, elle sera si l’on peut dire, virtuelle, mais elle n’en sera pas moins forte et puissante. »
Le dictionnaire indique que ce qui est virtuel s’oppose à ce qui est actuel, daté à un moment. Ce qui est virtuel peut advenir en dépit des circonstances, même en dépit de l’histoire et des traditions dans lesquelles il ne s’inscrit pas.
Le dictionnaire, toujours, dit que l’étymologie de « virtuel » est à chercher dans la « vertu », dans le sens où elle signifie, ou signifiait, le courage et l’énergie. En ce sens, le virtuel fait événement, puisqu’il peut surgir par lui-même, il est perpétuellement en puissance de survenance. Comme la résurrection du Christ qui vient briser la ligne continue de l’histoire et de nos histoires.
Frères et sœurs, le virtuel nous dépasse. Il ne nous permet pas de mettre la main sur le monde pour le faire nôtre, ni sur Dieu ni sur autrui.
C’est bien l’exercice que nous vivons ensemble depuis cinq semaines, de créer, grâce aux moyens que la technologie met à notre disposition, une nouvelle communauté que l’on dit virtuelle. Il ne s’agit en aucun cas de récréer notre communauté habituelle, de faire « comme si » ou « à l’image de », comme Thomas qui aurait bien voulu faire sien le Christ. Mais bien de consentir à ce que quelque chose de nouveau suspende la réalité habituelle et s’impose à nous.
Le Christ nous a envoyé. Est-ce que l’élan de cet envoi se fracasserait contre un virus ?
Je reprends des paroles de l’archevêque de Paris, Monseigneur Aupetit : « Nous sommes là pour transmettre la grâce pas le virus. »
Il faut changer nos habitudes ? Changeons ! Il faut sortir de notre zone de confort ? Sortons ! Mais changeons et sortons ensemble. Et transmettons la grâce !
En se parlant, se téléphonant, en s’écrivant, en s’écoutant, en n’oubliant personne, en participant à ce nouveau corps qui ne peut pas se voir directement ni se toucher, en y retrouvant la puissance de la foi à laquelle Christ nous appelle.
Frères et sœurs, nous sommes tous nés bien trop tard pour voir et pour toucher le Christ ! Nous sommes tous trop jeunes.
Bienheureux ceux qui, sans voir, croient ! Il nous faut croire virtuellement. Reconnaître en autrui mon frère, ma sœur de foi virtuelle et ainsi, être et demeurer ensemble, au nom du Christ.
Amen.