Culte du 26 avril 2020 avec la paroisse luthérienne de Saint-Jean – Pasteur Jean-François Breyne et Pasteure Marie-Pierre Cournot – Luc 24,13-35
La prédication du pasteur Jean-François Breyne sur Luc 24,13-35
Des chemins de souffrance, il y en a, dans la vie des hommes.
Ce jour-là, nos deux disciples marchent sur l’un de ces chemins, terrible et redoutable à la fois.
Chemin de deuil.
L’être aimé n’est plus !
Celui qu’ils suivaient depuis plusieurs années déjà, celui pour lequel certains avaient tout quitté, celui qui était leur maître : celui-là n’est plus !
Et c’est l’abîme de l’absence qui s’ouvre sous leurs pas.
Chemin de désespoir, de désillusion, aussi !
Ils pensaient suivre le messie, le libérateur d’Israël, celui qui allait les mener tout à la fois à la liberté et à Dieu ; celui qui allait restaurer le royaume d’Israël et la vraie piété, et voilà que l’histoire se termine en cul de sac, et de la plus terrifiante manière : l’échec de la prédication du Maître, le fiasco de sa mission, dans l’humiliation, la souffrance et la mort la plus terrifiante qui soit : celle de la crucifixion.
Perdus, leur monde vient de s’écrouler sous leurs pas.
Chemin d’incompréhension, enfin.
Car comment ont-ils pu se méprendre ainsi, se laisser abuser de la sorte par la parole et les gestes de cet homme de Nazareth ?
N’avaient-ils donc rien vu, rien entendu, rien compris ?
Et comme si cela n’était pas suffisant, il y a les femmes qui viennent, par leurs paroles et leurs témoignages, encore tout chambouler.
Même l’échec n’est plus évident, le deuil n’est plus si certain : y aurait-il une autre issue ?
Et c’est l’inconnu qui s’ouvre sous leurs pas …
Mes amis, ne ressemblons-nous pas, nous aussi, à nos disciples d’Emmaüs ?
Tant par rapport à notre foi, que par rapport à cette période si étrange et si douloureuse que nous traversons ?
Car nous aussi, nous nous affrontons à un bien drôle de chemin.
Le nôtre est intérieur, c’est le chemin immobile, où tout semble s’être figé, jusqu’au bon sens, parfois, le plus élémentaire.
Incompréhension, désespoir, et aussi souffrance.
J’avoue que je me lasse de tous ces bons apôtres qui voudraient nous faire croire que tout est bien, que cette période est une chance, collectivement et individuellement, pour nous convertir …
Non, Assez !
Arrêtons de tricher avec nous-même et avec les évènements.
Ce que nous vivons est difficile, compliqué et douloureux.
Et c’est bien, d’abord et avant tout, une catastrophe. Je ne parle pas seulement du nombre de morts, mais aussi de la situation économique, sociale, psychologique et humaine qu’elle engendre et engendrera !
J’ai envie de citer Voltaire dans son Candide lorsque celui-ci s’écrit : « assez de soutenir que tout est bien, quand tout est mal ! ».
Bien sûr, nous pourrons, individuellement et collectivement, faire de ce moment de souffrance, de stupeur, et de peur, nous pourrons, dis-je, en faire une occasion de changement.
Mais n’allons pas trop vite. Car encore nous faut-il, au préalable, reconnaître, assumer et traverser la souffrance, la peur, la solitude pour certains, le deuil pour d’autres.
Nos disciples, nous dit le texte, eux, ne trichent pas, et peut-être est-ce là l’essentiel !
Ils ont « l’air sombre » avons-nous lu dans la TOB, nous pourrions aussi traduire : ils sont « dans la tristesse ».
Et c’est peut-être pour cela, à cause de cela, qu’ils pourront s’écrier devant ce qui semble être le départ de l’inconnu : « reste avec nous ».
Et si ce « reste avec nous » est bien le cri de la foi, c’est aussi et d’abord le cri du manque, de la détresse.
Et c’est ce cri du manque qui fait basculer le récit.
Alors l’incompréhension devient découverte,
ce qui était aveuglement devient reconnaissance,
ce qui était fermé devient ouvert !
Celui qui était absent devient présent !
Et le Christ entre dans la maison, il reste avec nous en confinement,
lui aussi.
Et là, il se dévoile.
Dans la vérité de nos vies, de nos peurs et de nos manques.
Et dans le même temps, alors qu’il se donne à reconnaître, il devient invisible.
La présence physique s’efface pour laisser la place à une autre présence, une présence spirituelle.
La présence extérieure s’efface pour laisser place à une autre présence, une présence intérieure, en chacune, en chacune, en toi, en moi.
Si nous osons, nous aussi, le cri de la détresse, le cri de notre manque, le cri de notre tristesse : « Seigneur, reste avec nous ».
Alors, tu verras, ce cri, ce creux, ce manque, ce vide, pourra devenir l’écrin de Sa présence et tout sera transfiguré à jamais.
Et dom André Louf de dire dans l’une de ses prédications :
« Ce sont nos plaies à nous, en train de se transfigurer, qui nous feront reconnaître la résurrection de Jésus […]. aucune de nos blessures ne sera supprimée. Aucune ne sera complètement cicatrisée. Mais elles seront progressivement transformées, de foyers d’inquiétude et d’angoisse qu’elles étaient, en source de paix et de joie… [1]» et d’émerveillement.
Et le chemin s’inverse :
le désespoir se fait confiance,
l’incompréhension devient le terreau d’une nouvelle interprétation possible,
et le deuil se fait promesse et chemin de vie.
Et cela pour toi aussi,
pour moi, pour nous.
Amen.
[1] Dom André Louf était moine cistercien, longtemps père-abbé du Mont des Cats, il finira sa vie comme ermite en Provence, au sein de la petite abbaye de Sainte-Lioba. In La joie vive, Editions Salvator, 2017, page 113.
La confession de foi de Lytta Basset, inspirée du Symbole des apôtres
Nous croyons en toi, Dieu créateur du ciel et de la terre
Quand le brouillard se déchire comme une toile fatiguée,
quand les étoiles font palpiter la nuit à perte de vue,
Tu viens et Tu nous parles …
Nous croyons en toi, Père des cieux, Dieu de notre enfance,
tu nous attends comme on se penche, en retenant son souffle,
sur le miracle qui prend naissance
Dieu tout-vivant, tu nous offres cette vie au présent
qui nous échoit telle une manne imprévisible
Dieu de toute-puissance, tu te lèves pour nous défendre
comme on vient prendre par la main l’ami-e qui n’en peut plus,
et nous nous acheminons ensemble vers ta Maison
Nous croyons en toi, Jésus de Nazareth, vrai homme vrai Dieu
Quand la terre n’en finissait pas de tourner sur sa douleur,
quand l’espérance s’enlisait dans la peur du lendemain,
tu as pris corps au ventre de Marie,
et tu as vécu en authentique fils de l’humain :
héritier de cette humanité que Dieu avait rêvée toute autre …
Tu en es mort crucifié, avec deux malfaiteurs
Tu as connu l’abîme de l’angoisse et du désespoir,
tu as crié l’abandon et le silence de Dieu
Le troisième jour, Celui qui veille t’a levé d’entre les morts
Il t’a recueilli dans Sa lumière, accueilli en Fils de la maison
Nous croyons en toi, Jésus de Nazareth,
tu n’as pas souffert pour rien :
tout ce que tu as dis nous brûle encore le cœur ;
quand nous pleurons nos violences et nos lâchetés,
tu nous invites à prendre place à tes pieds
pour y trouver notre part d’éternité,
celle qui ne nous sera jamais ôtée
Nous croyons ne toi, Esprit saint, Consolateur incomparable
Quand la mort marque nos corps au fer rouge de la séparation,
quand le ciel vide nous laisse béants de solitude,
tu viens pacifier tout ce qui nous fait la guerre,
tu viens sanctifier nos « pourquoi » et nos prières
Esprit du Christ vivant, charbon ardent de la Parole,
ta sainteté se propage comme un feu, de bouche à oreille
Nous croyons ton Église sainte et sans frontières :
tu la sanctifies par le moindre de ses gestes solidaires,
tu lui apprends le lien indéfectible de tout être au Créateur,
tu lui offres la communion unique d’une famille au centuple
Esprit du Christ vivant, charbon ardent de la Parole,
nous croyons la dissolution du péché : tu dénoues toute entrave,
tu nous relies au Père par le fil d’or de la compassion
Nous croyons la résurrection des morts
et de tout ce qui est mort :
tu souffles la vie au tombeau glacé de nos relations
Nous croyons la vie éternelle :
l’heure du cœur à cœur, pour toujours …
Lytta Basset, Traces Vives, Labor et Fides, 2006, p.73-74.