Textes bibliques : Nombres 21,4-9 et Jean 3,1-2 et 13-21 : ici
Prédication, par la Pasteure Marie-Pierre Cournot :
Ce passage de l’évangile de Jean, c’est un vrai monument. Chacun de ces versets est une phrase iconique de l’Évangile qui pourrait écraser toutes les autres.
Commençons par « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. »
On cite très souvent ce verset. Il nous nourrit, nous porte. C’est un condensé d’évangile.
« Dieu a donné son fils », on peut entendre que Dieu s’est défait de son fils unique, qu’il l’a perdu, qu’il l’a offert à la mort ou aux puissances du mal pour gagner en échange quelque chose pour nous.
Mais je ne vois pas pourquoi Dieu aurait fait une chose pareille, ni pourquoi il serait allé se choisir un fils dans le seul but de le sacrifier aux puissances du mal.
« Dieu a donné son fils » : Dieu nous a donné son fils, il nous a donné un fils, un homme venu témoigner pour nous de Dieu, par sa parole, par ses actes ? par son corps même. Il est si empreint de Dieu, qu’y croire c’est croire en Dieu.
Il nous l’a donné à nous, pour que nous entendions de la bouche d’un semblable ce qu’il nous est difficile d’entendre de Dieu lui-même : Dieu n’est pas là pour juger le monde mais pour le sauver :
« Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que par lui le monde soit sauvé. »
Il y a de quoi révolutionner une bonne partie de la théologie de l’Ancien Testament. Pas toute la théologie de l’Ancien Testament, mais disons la théologie majoritaire, celle en tout cas du courant apocalyptique d’où provient cette représentation du fils de l’homme qui descend du ciel pour le grand jugement de la fin des temps. Exit l’idée d’un grand jugement à la fin des temps !
« Celui qui met sa foi en lui n’est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas mis sa foi dans le nom du Fils unique de Dieu. »
« Celui qui ne croit pas est déjà jugé » : Le jugement a déjà eu lieu. Exit l’idée que nous serons jugés à notre mort ! Le jugement est derrière nous. Notre représentation du temps s’en trouve chamboulée, nous avançons non vers une fin mais vers un début, celui qu’inaugure le matin de Pâques.
Et ce jugement passé ne fait pas le tri entre croyants et non croyants. Jésus s’adresse ici à Nicodème, notable juif – à un moment de l’entretien que nous n’avons pas lu, Jésus s’adresse à lui en disant « tu es un maître juif ». Nicodème comme tout le public de Jésus croit en Dieu. Croire ou ne pas croire, là n’est pas la question. En fait ce n’est pas celui qui ne croit pas qui est déjà jugé, mais celui qui n’y croit pas qui est déjà jugé : celui qui ne croit pas en Jésus, en la bonne nouvelle qu’il annonce : que Dieu nous offre de nous sauver et qu’il nous envoie Jésus pour nous le prouver.
En quoi consiste ce jugement ?
« Et voici le jugement : la lumière est venue dans le monde, et les humains ont aimé les ténèbres plus que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises.
Car quiconque pratique le mal déteste la lumière ; celui-là ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dévoilées ;
mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en Dieu. »
Et le jugement c’est la mise en évidence de notre incapacité à sortir des ténèbres où nous sommes perdus. Comme les hébreux dans le désert qui se sont perdus dans leurs récriminations. Ils ont préféré se nourrir de leurs souvenirs, de leurs passés, de leurs « c’était tellement mieux avant » trompeurs. Ils n’ont pas vu que Dieu leur proposait un chemin personnel différent, défricheur de nouvelles voies ouvertes vers un enrichissement commun à inventer et à construire.
Dans tous les cas, Jésus vient nous rencontrer au fond de ces ténèbres. Il vient les illuminer. Même au plus noir de la croix, son étincelle brille. Même dans le fond des cachots ou au bout de la maladie, Jésus est là. N’a-t-il pas lui-même expérimenté la croix ?
Mais comme nous dit Jean, devant cette lumière, peut-être aveuglante, nous préférons rester dans l’obscurité. Il y a même un certain confort à rester dans l’ombre et à fuir la clarté ou du moins à ne pas la rechercher. Nous sommes traversés par des élans qui nous poussent à rechercher la vérité de Dieu mais tirés en arrière par des peurs ou des aspirations à rester cachés.
Car ce que la vérité de Dieu dévoile fait peur, que verrons-nous de nous si nous sommes en pleine lumière ?
Y aura-t-il dans ce dévoilement, une parcelle de vérité en nous ?
Et si la lumière, la vérité, c’était avant tout assumer notre part d’ombre, la mettre en lumière pour qu’elle ne soit pas comme une chausse-trappe dans laquelle nous risquons de sombrer ?
La vérité sur nos ténèbres, voilà l’authenticité que nous propose Dieu à travers Jésus.
Dans le désert, la morsure des serpents menace les hébreux, comme le serpent d’Adam et d’Ève, ces serpents sont révélateurs de notre part d’humanité. Comme Adam et Ève se cachant devant Dieu qui les appelle, il nous est difficile d’assumer notre condition humaine fragile et limitée.
Comme Nicodème, arrivé de nuit pour interroger Jésus, et reparti sans avoir encore discerné la lumière. Mais il fera son chemin vers elle, vers la foi en Christ puisqu’il prendra la défense de Jésus et aidera à sa mise au tombeau.
Allez, c’est le moment de déballer nos ténèbres, de les aérer, de les secouer en plein air, en pleine lumière. C’est le grand nettoyage de printemps !
Et au milieu de toute cette ombre si longtemps cachée, ne trouverons-nous pas la volonté de monter au ciel ?
Qui d’entre nous ne désire pas ardemment au plus profond de lui, se rapprocher de Dieu et bénéficier d’un petit rayon de son divin éclat ?
Mais Jésus nous dit: « Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. »
Personne ne gagnera le ciel ! Il y a de quoi revoir nos prétentions et nos projets d’avenir.
Seul le fils de l’homme, c’est-à-dire le Christ, se trouve au ciel.
Le Christ élevé sur sa croix, comme le serpent de Moïse en haut de son poteau : nos regards élevés vers lui depuis le sol où nous sommes, depuis cette terre que nous avons à partager. Toute notre espérance déposée à ses pieds, c’est là que se gagne notre vie éternelle, notre vie auprès de Dieu.
Tournant le dos à un jugement déjà périmé, appelés, guidés par une lumière qui ne condamne pas mais qui nous porte vers la vérité, la vérité que nous recherchons tous au fond de nous-mêmes.
Amen