Culte 6 juin : catholiques et protestants unis dans le corps et le sang du Christ

Culte célébré le 6 juin 2021 par Nathalie Martin Derore, bibliste et enseignante à l’Institut Catholique de Paris, et par la pasteure Marie-Pierre Cournot

Marc 14,12-26 :
Et il envoie deux de ses disciples et leur dit :
« Allez à la ville ; un homme viendra à votre rencontre, portant une cruche d’eau. Suivez-le et, là où il entrera, dites au propriétaire : “Le Maître dit : Où est ma salle, où je vais manger la Pâque avec mes disciples ?” Et lui vous montrera la pièce du haut, vaste, garnie, toute prête ; c’est là que vous ferez les préparatifs pour nous. »

Les disciples partirent et allèrent à la ville. Ils trouvèrent tout comme il leur avait dit et ils préparèrent la Pâque.
Le soir venu, il arrive avec les Douze. Pendant qu’ils étaient à table et mangeaient, Jésus dit : « En vérité, je vous le déclare, l’un de vous va me livrer, un qui mange avec moi. »
Pris de tristesse, ils se mirent à lui dire l’un après l’autre : « Serait-ce moi ? ».
Il leur dit : « C’est l’un des Douze, qui plonge la main avec moi dans le plat. Car le Fils de l’homme s’en va selon ce qui est écrit de lui, mais malheureux l’homme par qui le Fils de l’homme est livré ! Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là ! »

Pendant le repas, il prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit, le leur donna et dit : « Prenez, ceci est mon corps. »
Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. En vérité, je vous le déclare, jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le Royaume de Dieu. »

Après avoir chanté les psaumes, ils sortirent pour aller au mont des Oliviers.

Prédication par Nathalie Martin Derore, bibliste et enseignante à l’Institut Catholique de Paris :
J’imagine ce que vous êtes en train de vous dire : « Mon Dieu ! voici une catholique qui vient faire une prédication chez des protestants. On aura tout vu !
Et en plus, elle risque de nous endoctriner ! ».

N’ayez crainte, comme l’a rappelé Marie-Pierre, je suis la fille d’un « couple mixte », comme on disait autrefois, n’est-ce pas ? Malheureuse expression ! Mais que je trouve aujourd’hui plutôt heureuse car, grâce à mes parents, je suis bien cette mi-catho, mi-prot, ou plutôt les 2 à la fois, qui est là devant vous ! Chrétienne en somme, à vocation œcuménique et assez militante, je dois dire …

Merci, Marie-Pierre de me donner ce privilège de parler devant vous, en ce Temple de Montparnasse-Plaisance. En tant que femme et laïque, je n’ai pas le droit de le faire dans une église catholique ! Mais toutes deux, nous avons conscience que la réconciliation en Christ est tellement nécessaire !

Et je trouve plutôt joli ce clin d’œil du Seigneur, de notre Seigneur, de me faire venir ici chez vous le jour où vous lisez, où nous lisons, ce même texte de Marc dit de « l’Institution eucharistique ». C’est le titre donné par la TOB (Traduction Œcuménique de la Bible), Bible que j’ai choisie intentionnellement, aujourd’hui, pour nous tous.

Nous allons tenter de décrypter ce texte de Marc en suivant un parcours chronologique, tout simplement : ce que cet épisode disait aux contemporains de Jésus et de l’évangéliste, en quoi il parle aujourd’hui à nos
églises et quelle perspective il ouvre pour l’avenir.

1– Quelques petits rappels historiques et contextuels
Dans le judaïsme, ce dernier repas de Jésus avec ses disciples correspondait au repas rituel de la préparation de la fête de Pâque, le seder, pris le soir précédant cette fête. C’est le souvenir ritualisé de la sortie d’Égypte, avec un repas : agneau pascal, galette de pain azyme, la matza, herbes amères, 4 coupes de bénédiction ; tout cela accompagné de psaumes chantés ; on ne se contente pas de lire le récit fondateur, on le revit avec une forte implication des participants : « Quand Dieu nous a fait sortir d’Égypte et de la servitude… »
Le changement, opéré par Jésus tel que le rapporte Marc est de taille : « Prenez, ceci est mon corps »1; « ceci est mon sang2 , le sang de l’Alliance, versé pour la multitude.» Jésus reprend ici la parole de Moïse lors de la 1ère Alliance en Ex 24,8, texte cité dans notre liturgie d’aujourd’hui : « Moïse prit le sang, en aspergea le peuple, et dit : Voici le sang de l’Alliance que le Seigneur a conclue avec vous, sur la base de toutes ces paroles ». Mais dans le texte de Marc, Jésus est l’agneau pascal, son sang est le vin. Une Pâque nouvelle est instaurée, est scellée.
Et en ajoutant « versé pour la multitude », Jésus s’identifie au Serviteur souffrant d’Isaïe 53,12 : « Il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort … avec les pécheurs, il s’est laissé recenser…il a porté, lui, les fautes des foules et…pour les pécheurs, il vient s’interposer. » Jésus offre son corps et son sang, c’est-à-dire sa vie, aux
multitudes, autrement dit à tous, sans limites territoriales ou autres barrières, et … pécheurs compris !
C’est ce sur quoi Marc insiste, à la suite d’Isaïe, en encadrant ce récit du repas, par la violence, le péché des hommes : la trahison de Judas « l’un de vous va me livrer » (v.18) ; puis, le reniement de Pierre amorcé avec la mention du Mont des Oliviers, au dernier verset (v. 26).


Curieusement, la liturgie catholique supprime les v. 17 à 21 qui soulignent que la trahison est au cœur des 12, chacun se demandant : « Ça ne serait pas moi par hasard ? », « et si c’était moi ? » Ce saucissonnage liturgique est regrettable, car Marc lie le repas pascal au péché, toujours « tapi à la porte », comme dans le cœur de Caïn.
Tous, même les proches de Jésus, ont en eux « cette potentialité de trahison », selon la formule d’Élian Cuvillier. Cet auteur, protestant ! fait remarquer que Marc ne désigne pas Judas explicitement et ne précise pas qui est « l’un des 12, qui plonge la main avec moi dans le plat ». Le plat, dans le texte grec, c’est to trublion, « le trouble-fête » ! Et le verbe embaptô, bien sûr, rappelle, le baptême.
Avec ce récit, Marc nous fait plonger par avance dans la mort de Jésus et nous invite à faire le lien entre eucharistie et baptême.


2- Quel sens de ce passage pour nous aujourd’hui ?
Certes, nos traditions interprètent ce texte à leur manière et ont des rituels différents.
Les catholiques parlent d’eucharistie (terme grec signifiant « action de grâce ») et les protestants de Sainte Cène (du latin cena voulant dire « repas »).
Les catholiques, ce dimanche, célèbrent la Fête du Saint Sacrement et mettent l’accent sur la consécration du pain et du vin par le prêtre, nécessairement un homme, seule personne habilitée à les consacrer. L’écueil, comme on l’a vu pendant la pandémie, est de penser que la communion est tellement indispensable que si on ne peut pas manger l’hostie, on est privé de l’essentiel, voire menacé de mort spirituelle !
Pour les protestants, en revanche, le culte n’est pas une réactualisation de la Cène de Jésus ; son importance ne réside pas dans le repas en soi, mais dans sa portée symbolique ; le pain est du pain ordinaire, il n’est pas consacré, ni le vin. L’essentiel réside dans la parole lue et prêchée. « Dans ta parole, ô Dieu, je puise
force et vie ! », venons-nous de chanter.

Cependant, au-delà des querelles entre catholiques et protestants, cherchons en quoi ce texte nous rassemble.
Tout d’abord, nous sommes tous pécheurs ou pécheurs potentiels ! Mais rassurons-nous : Jésus est venu pour les pécheurs ! Donc, tout va bien…
Les uns comme les autres, nous pouvons avoir la tentation de réserver le partage du repas à certains et pas à d’autres (non croyants, divorcés remariés, homosexuels…). Alors, nous cultivons un entre-soi crispé ; or, cette non-hospitalité va à l’encontre de l’attention à l’autre, à tous les autres ! voulue par Jésus. Je rappelle que, dans le texte de Marc, Jésus s’offre en communion aussi au traître, sans dire qui il est, sans le dénoncer. Une église, quelle qu’elle soit, qui ne partage le pain et le vin qu’avec ceux qui sont « labellisés » perd son rôle d’ouverture, son agapè, sa capacité à aimer, bref, sa raison d’être.
Le pain, c’est notre lien à la Création, le sang c’est la vie, notre vie donnée par Dieu, notre vie offerte à Dieu.

Quelle présence réelle de Jésus Christ dans cette célébration ?
Pour nous tous, Jésus, même absent, est présent quand la Parole est proclamée ; il est présent également dans toute assemblée réunie en son nom. « Là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. » (Mt 18,20). C’est ce que nous sommes, aujourd’hui.
C’est ici et maintenant que nous sommes le corps et le sang du Christ. Quel beau signe œcuménique que ce repas !
Vous m’avez invitée à venir partager avec vous votre nourriture, notre nourriture commune, ce pain et ce « fruit de la vigne », ce Seigneur offert à tous, catholiques et protestants, chrétiens et non chrétiens ; alors qui pourrait nous refuser de partager cette nourriture corporelle et spirituelle qui ouvre nos cœurs, renouvelle notre alliance avec Dieu, nous rend davantage frères et sœurs en Christ ?

3- Quelle portée de ce texte pour notre avenir ?
Elle est dans la réponse de Jésus au verset 25 : « En vérité…jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le Royaume de Dieu. » En célébrant sa mort, Jésus annonce également sa résurrection. Et par cette parole, il nous invite, par avance, au banquet céleste, au-delà de sa vie, au-delà de notre vie, « dans le Royaume de Dieu » !
En attendant, ne perdons pas de vue l’essentiel : Louons le Seigneur et rendons grâce, sans cesse, ce que nous faisons par nos chants, nos cantiques.
Gardons sa mémoire vivante, à la manière de la femme de Béthanie venue parfumer le corps de Jésus, juste avant ce dernier repas (Marc 14,9). Elle avait tout compris !
Surtout, que chacun ne garde que le meilleur de sa tradition et accepte le meilleur de celle des autres.

1En grec « to sôma mou » => somatiser
2 En grec « to haima mou » => hématome

Un commentaire

  1. Je précise ma demande d’inscription au débat de ce soir. 11 juin
    Merci
    M C Julien

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