1ère lettre aux Corinthiens, chapitre 12, versets 4 à 11 :
Or il y a diversité de dons de la grâce, mais c’est le même Esprit ; diversité de services, mais c’est le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. Or à chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour l’utilité commune.
En effet, à l’un est donnée par l’Esprit une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ; à un autre, de la foi, par le même Esprit ; à un autre, des dons de guérison, par l’unique Esprit ; à un autre, la capacité d’opérer des miracles ; à un autre, celle de parler en prophète ; à un autre, le discernement des esprits ; à un autre, diverses langues ; à un autre, l’interprétation des langues. Mais c’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun en particulier comme il le décide.
Prédication par la pasteure Marie-Pierre Cournot :
Les dons de l’esprit ! Voici un texte assez connu je crois mais pas forcément très mis en avant dans notre tradition réformée disons classique. Il nous gêne à plusieurs titres.
Ça fait un peu peur les dons de l’esprit. On pense tout de suite à des manifestations incontrôlables, des gens qui se roulent par terre en disant des mots incompréhensibles. Ce n’est pas notre genre !
Ces dons ne seraient-ils pas pour nous les Réformés ? Cet esprit ne nous concernerait-il pas ?
Pourtant, l’esprit dont il est question ici, c’est de l’esprit de Dieu, le Saint-Esprit. C’est en fait une façon de parler de Dieu, de sa façon d’agir pour nous, en nous. On dit que Dieu agit à travers son esprit, comme si l’esprit était un prolongement de Dieu qui nous atteindrait.
D’ailleurs Paul décline, « c’est le même esprit », « c’est le même Seigneur », « c’est le même Dieu ». Tout cela ne fait qu’un et nous concerne directement.
Cette liste de dons assénée par Paul me parait pourtant assez étrange, comme sortie de nulle part. Je me suis souvent demandée pourquoi ces dons-là et pas d’autres ?
J’aurai bien rajouté le don de l’écoute et le don du pardon car je crois qu’on a bien besoin de l’Esprit-Saint pour pallier à nos déficiences dans ces deux domaines.
Et pourquoi en faire une liste close qui fige les manifestations possibles de Dieu ?
Le fait de penser à l’aide de listes est courant dans l’Antiquité. C’est une façon de structurer sa réflexion que l’on retrouve aussi bien en Égypte, en Mésopotamie ou en Grèce antiques. N’oublions pas que Paul, qui était citoyen romain, a grandi sous l’influence des penseurs grecs. Et dans le judaïsme aussi, l’autre grande culture dans laquelle a grandi Paul, on retrouve des listes.
Il y a même dans l’Ancien Testament, des listes de dons de l’esprit de Dieu. L’esprit s’appelle alors le souffle, mais c’est en réalité le même mot. Par exemple en Exode 31, Dieu explique à Moïse comment il a doté un ouvrier qui va travailler à la construction de la tente de la rencontre : « Je l’ai rempli du souffle de Dieu, de sagesse, d’intelligence et de connaissance pour toutes sortes de travaux ».
Toujours dans l’Ancien Testament, dans le livre d’Ésaïe, quand il s’agit d’évoquer le futur Messie, il est dit : « Le souffle du SEIGNEUR reposera sur lui : souffle de sagesse et d’intelligence, souffle de conseil et de vaillance, souffle de connaissance et de crainte du SEIGNEUR. »
On retrouve dans ces deux passages, comme dans la lettre de Paul aux Corinthiens, le don de la sagesse, de l’intelligence et du conseil (du discernement chez Paul) et de la connaissance.
Peut-être le don de la crainte de Dieu chez Ésaïe peut-il être rapproché du don de la foi chez Paul. Dans les deux cas, il s’agit de décrire, dans des époques, des contextes et des lieux différents, la nature de la relation à Dieu.
J’ai bien envie de m’arrêter, dans la liste de Paul, sur le don de parler en prophète et celui de parler en diverses langues à qui est rattaché le don de l’interprétation des langues.
On retrouve dans l’Ancien Testament plusieurs passages où de grands personnages sont identifiés à des prophètes quand ils entrent en transe où dansent de façon désordonnée. C’est le cas du roi Saül, à deux reprises[1] et aussi du roi David[2]. Prophétiser et être en transe, c’est d’ailleurs le même verbe, à l’origine « être en transe » dont le sens a évolué vers « prophétiser ». Ces mouvements du corps désordonnés sont une façon comme une autre d’exprimer ses émotions, même si elle n’a plus tellement cours dans notre culture où l’expression verbale est mise en avant, sauf dans l’art mais qui a ses propres codes.
Je pense que l’on peut en rapprocher le fait de parler dans une langue inconnue, « le don des langues ». Il y a des occasions où les mots qui sortent de la bouche charrient autre chose qu’une pensée structurée et élaborée dans un langage codifié. C’est, a minima, le cas lorsque l’on crie d’effroi, que l’on gazouille de bonheur ou que l’on bégaie de colère.
On retient souvent Paul comme celui qui légitime le parler en langues dans les assemblées ecclésiales, mais il faut noter qu’il a toujours une parole pour encadrer et limiter cette pratique : ici ce langage incompréhensible doit être interprété, c’est à dire traduit. A d’autres endroit de sa correspondance, Paul précise même qu’il ne faut pas plus que deux ou trois personnes qui parlent en langues et encore faut-il qu’elles parlent chacune à leur tour et bien sûr qu’il y ait quelqu’un pour faire l’interprète[3].
Ce qui peut être un peu gênant aussi c’est que d’après Paul, certaines personnes en particulier sont explicitement distinguées, marquées par Dieu à la vue de tous, et que Dieu attend qu’elles fassent des choses spectaculaires publiquement ?
C’est peu compatible avec l’idée que les Réformés se font de la foi : une relation individuelle avec Dieu, intime, qui ne regarde pas les autres puisqu’elle se fait dans le secret de mon cœur entre Dieu et moi et personne d’autre. À travers l’histoire, on a parfois compris que cette relation intérieure impliquait une certaine sobriété extérieure.
C’est peu compatible avec le « dogme » du sacerdoce universel qui affirme que chacun, chacune, sans distinction peut être témoin de Dieu.
C’est peu compatible avec l’autre « dogme » protestant, celui du salut par la grâce qui affirme que rien de ce que nous faisons n’influence Dieu et ne peut nous assurer une place auprès de lui.
C’est sur ce dernier point qui est le plus facile de revenir. A aucun moment Paul ne laisse penser que l’exercice de ces dons permettrait de s’assurer un traitement de faveur de la part de Dieu. Il dit, je cite « à chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour l’utilité commune », c’est la traduction de la NBS. La TOB propose « À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous ». Quelle que soit la traduction du mot grec qui veut dire littéralement « porter ensemble », on a bien une idée de bénéfice commun et non de bénéfice individuel pour celui à qui est donné le don en question. Ces dons ne servent pas à se mettre en avant. Ils ne nourrissent pas la compétitivité ni la rivalité. A travers ces dons, il nous est confié quelque chose qui est un bien commun, je crois qu’on peut même dire un bien public.
Un élément important qui ressort de la description de Paul, il insiste suffisamment dessus, c’est qu’il existe différents dons destinés chacun à des personnes différentes. Dit autrement, ceux qui reçoivent le don d’une parole de sagesse, ne reçoivent pas le don de guérison ni celui des langues, et inversement. Personne ne les a tous, et Paul semble même dire qu’il n’y a qu’un seul don par personne.
Oui, nous avons reçu chacun un don de l’Esprit de Dieu, mais pour un reçu, combien nous en manque-t-il ? Donc personne ne les a tous, loin s’en faut.
Dans le contexte actuel que traverse notre pays, et probablement une grande partie du monde, où la France est coupée en deux parts qui s’affrontent et se stigmatisent mutuellement au sujet de l’ampleur du risque de l’épidémie que nous traversons et des mesures à prendre pour la contrôler ou pas, ces paroles de Paul résonnent particulièrement.
Au regard des dons de l’esprit, nous ne sommes pas parfaits, pas complets. Que je ne suis pas, que nous ne sommes pas un être parfait, ce n’est probablement pas un scoop ! Mais que les autres, tous ceux qui nous entourent, ne sont pas non plus parfaits parce que Dieu l’a voulu ainsi, c’est parfois plus dur à accepter. Les imperfections et manquements des autres sont pour nous parfois violents.
Nous sommes tous, en fait des êtres de manque, de déficience. Et c’est peut-être cela qui nous pourrait nous réunir. Notre déficience commune.
Plutôt que d’essayer de nous accorder tous sur un sujet, de partager des positions semblables sur telle ou telle question, des comportements identiques dans telle ou telle situation, ce qui nous relie, ce que nous avons à mettre en commun, c’est précisément ce qui nous empêche d’être semblable, ce qui nous tient éloignés les uns des autres.
Paul insiste sur cette diversité en commençant par affirmer la diversité des dons de la grâce, la diversité des services, la diversité d’opérations. Notion qu’il reprend à la fin en parlant de l’esprit qui distribue à chacun en particulier comme il le décide : le verbe distribuer en grec est de la même famille que le mot traduit par « diversité ». L’esprit de Dieu n’est pas là pour gommer cette diversité, pour faire de nous des êtres semblables, bien au contraire ! À l’un il donne un don, mais à un autre il donne un autre don, à un autre, à un autre, à un autre … et ainsi huit fois de suite.
Pour nous unir à travers nos différences qui ne sont que la somme de nos déficiences, l’esprit de Dieu est à l’œuvre. C’est lui qui constitue la matrice qui nous relie.
Six fois dans ses huit petits versets, Paul martèlera « c’est le même esprit » ! Et au cas où on n’ait pas bien compris il rajoute, deux fois, « c’est un seul esprit ».
Les différences ne sont pas les témoins de notre désunion, au contraire elles sont le signe d’une œuvre commune beaucoup plus forte.
Personne ne partage les mêmes dons qu’un autre, chacun le sien. C’est cela qui fait notre force. Chacun peut trouver en l’autre une partie de ce qui lui manque. Ce n’est que tous ensemble que nous sommes complets, que nous sommes l’être voulu par Dieu.
La liste que Paul nous donne, cette liste des qualités que Dieu dépose en nous, n’est pas une liste fermée. À nous de la faire vivre, en y rajoutant des dons, non pas ceux que nous avons, mais ceux qui nous manquent !
Amen
[1] 1 Samuel 10,6-9 et 1 Samuel 19,23-24.
[2] 2 Samuel 6,12-23.
[3] 1 Corinthiens 14,26-27.