Esaïe 6,1-8 :
L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé ; le bas de son vêtement remplissait le temple. Des seraphim se tenaient au-dessus de lui ; ils avaient chacun six ailes : deux dont ils se couvraient la face, deux dont ils se couvraient les jambes, et deux dont ils se servaient pour voler. Ils s’appelaient l’un l’autre et disaient : « Saint, saint, saint est YHWH des Armées ! Toute la terre est remplie de sa gloire ! ». Les soubassements des seuils frémissaient à la voix de celui qui appelait, et la Maison se remplit de fumée.
Alors je dis : « Quel malheur pour moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures, et mes yeux ont vu le roi, YHWH des Armées ! »
Mais l’un des seraphim vola vers moi, tenant à la main une braise qu’il avait prise sur l’autel, avec des pincettes. Il toucha ma bouche et dit : « Ceci a touché tes lèvres : ta faute est enlevée, ton péché est expié. »
J’entendis le Seigneur qui disait : « Qui enverrai-je ? Qui ira pour nous ? »
Je répondis : « Je suis là, envoie-moi ! »
Prédication par la Pasteure Marie-Pierre Cournot :
Parfois on entend dire qu’on ne comprend rien aux textes de l’Ancient Testament.
Je crois qu’avec quelques éléments de contexte historico-politique, et peut-être de vocabulaire, le passage que nous avons lu va s’éclaircir.
Parfois on entend dire que l’Ancien Testament, non vraiment ce n’est pas possible avec ce Dieu vengeur et violent qui habite très haut loin des humains !
Je crois qu’ici, comme dans biens d’autres passages de l’Ancien Testament, Dieu n’est qu’amour et pardon, tout à la fois éloigné et en union totale avec l’humain.
On appelle ce récit le récit de la vocation prophétique d’Esaïe.
Esaïe nous raconte une vision qu’il a eue.
On est en plein milieu du 8e siècle avant Jésus-Christ, l’année de la mort d’Ozias, roi du royaume de Juda.
Depuis presque deux siècles, depuis la mort du roi Salomon à la fin du 10e siècle avant Jésus-Christ, le territoire d’Israël se déchire en deux royaumes qui n’ont pas cessé de se faire la guerre :
– le grand royaume du Nord, qui garde le nom d’Israël, avec sa capitale Samarie,
– et le petit royaume du sud, Juda et sa capitale Jérusalem.
À l’époque de la mort d’Ozias, l’ensemble de la région est sous la domination assyrienne depuis un siècle.
Le royaume du sud, Juda, préfère se soumettre aux assyriens pour essayer de préserver une certaine autonomie.
Au contraire, le royaume du nord décide de partir en guerre contre les Assyriens. Il fait alliance avec le royaume araméen de Damas contre les Assyriens, plus ou moins avec le soutien de l’Égypte qui espère rétablir son influence sur la région.
Cette coalition anti-assyrienne tente de convaincre le royaume du sud de les rejoindre.
Au final, cela va mal se passer d’abord pour le royaume de Damas puis pour le royaume d’Israël qui vont tous les deux être anéantis par le puissant empire assyrien.
D’après les récits bibliques, le royaume de Juda va plutôt bien s’en sortir, mais comme c’est à travers lui que nous sont parvenus les textes bibliques relatant ces événements, évidemment qu’il s’y fait la part belle !
En attendant, Esaïe est à Jérusalem, introduit dans les cercles du pouvoir en proie à cet imbroglio géopolitique et il essaye de convaincre que la seule allégeance possible c’est l’allégeance à Dieu.
Voilà pourquoi Esaïe parle d’un peuple aux lèvres impures.
Un peuple prêt à faire des promesses à qui en demande et à donner sa parole au plus fort.
Je pense que la scène de cette vision se passe dans le temple de Jérusalem.
D’après la description faite dans un autre livre de l’Ancien Testament, le premier livre des Rois[1], l’intérieur du temple était orné de statues et de bas-reliefs de d’anges ou de divinités ailées, comme ici les seraphim.
Esaïe parle de Dieu en l’appelant « YHWH des armées ». Il ne s’agit pas d’armées au sens militaire mais plutôt des multitudes de personnages ou d’éléments célestes qui entouraient Dieu et dont font partie les seraphim.
Il s’agit des traces d’un temps où la cour céleste était composée de plusieurs divinités, avant que ne s’affirme le monothéisme et son Dieu unique.
Dieu est décrit ici dans toute sa gloire, comme un roi entouré de sa cour.
Esaïe appelle d’ailleurs Dieu « roi », il dit « mes yeux ont vu le roi, YHWH des Armées ».
Ce qui créé une interrogation sur qui est le roi : au premier verset le roi est mort ou va mourir, c’est l’homme qui est sur le trône de Juda à Jérusalem, et dans la suite, c’est Dieu qui est assis sur un trône.
Un trône très élevé et un vêtement très grand, pour bien marquer sa supériorité.
Esaïe affronte le dilemme de savoir qui est le roi, c’est-à-dire à qui il obéit, à qui il fait confiance.
Mais arrêtons-nous un instant sur le vêtement de Dieu-roi.
L’habit dit beaucoup de celui qui le porte : ici il est énorme, prend toute la place, il déborde, occupe tout le temple, envahit tout l’espace disponible.
Le texte insiste : le vêtement de Dieu remplissait le temple et la gloire de Dieu remplissait la terre.
Dieu est partout, pas seulement sur son trône élevé, pas seulement confiné dans la sphère du sacré.
La sainteté de Dieu, affirmée trois fois de suite d’une forte voix par les seraphim, ne le relègue pas à part, loin du monde des humains, mais au contraire, elle le fait glisser comme l’étoffe de son habit, vers et pour l’humain.
Elle nous enveloppe, sans laisser un interstice vide, sans laisser personne seul.
La sainteté et la gloire de Dieu se font présence pour nous, pour chacun et chacune d’entre nous, comme pour Esaïe.
Au milieu de cette marée divine, Esaïe se croit perdu, il sait bien, comme tous les hébreux, que l’on ne peut pas voir Dieu et en sortir indemne.
Il se lamente « mes yeux ont vu le roi, YHWH des Armées ! ».
Mais ce n’est pas tant de voir Dieu le problème, que de se voir soi-même.
La présence de Dieu renvoie à Esaïe sa propre image, nous renvoie notre propre image.
Esaïe prend soudain conscience de lui-même.
Et cela l’affole.
Il prend conscience de sa faiblesse, de son inutilité peut-être, de sa duplicité à rester dans ce peuple dont il ne cautionne pas les orientations mais qu’il échoue à ramener à Dieu.
« Je suis perdu » voilà la sentence qu’il s’applique à lui-même.
La période troublée que nous vivons – troublée à plus d’un titre : sanitaire, politique, social et international – nous questionne de la même manière sur nos priorités et nos compromis acceptables.
Où est notre roi ?
À qui va notre confiance ?
Jusqu’où sommes-nous prêts à supporter des injustices pour faire triompher nos idéaux ?
Dieu déferle et se répand en nous, nous imbibe.
Être imbibé de la gloire de Dieu ce n’est pas rien, d’ailleurs il y a dans cette scène comme un tremblement de terre.
La voix des seraphim fait trembler les huisseries du temple et s’accompagne de fumée.
Ces signes vont habituellement de pair, dans l’Ancien Testament, avec les apparitions et manifestations de Dieu.
On ne sait pas très bien ce que sont les seraphim, ces êtres ailés, c’est le seul endroit de tout l’Ancien Testament où il est question de seraphim.
On peut tout de même dire que le mot seraphim se rapproche d’une racine qui veut dire brûler en hébreu, on pourrait traduire par « ceux qui brûlent ».
Entre « ceux qui brûlent », la fumée qui se répand dans le temple et la braise brandie par les seraphim, le feu est en bonne place dans cette scène.
Le feu représente toute la puissance qui émane de Dieu.
Cette puissance peut nous étreindre un peu trop fort. Cela peut être encombrant.
On peut comme Esaïe se noyer, se perdre, dans cette inondation divine qui nous renvoie l’image de nous-même, une image que nous n’avons peut-être pas envie de voir
On peut préférer détourner le regard, et peut-être le cœur, pour passer sans le voir.
On peut ignorer Dieu, mais Dieu ne nous ignore pas.
Les seraphim, qui sont donc dans la vision d’Esaïe la manifestation de la puissance de Dieu, ont la charge de proclamer et d’effectuer l’absolution, représentée par le feu purificateur de la braise.
C’est un des séraphim qui applique la braise et prononce les paroles de pardon : « ta faute est enlevée, ton péché est expié. »
Dans un monde purement monothéiste ce serait Dieu lui-même qui dirait et ferait cela.
Mais l’important n’est pas là. L’important c’est que ce pardon est donné gratuitement, sans contrepartie, du fait de la seule puissance de Dieu, par la seule gloire et la seule présence de Dieu.
Tout au plus pourrait-on dire que ce pardon advient pour Esaïe quand celui-ci, dans son face à face avec Dieu, prend conscience de sa non pureté.
Je dis à dessein « non pureté » plutôt qu’« impureté » qui est un terme trop empreint de connotations morales qui n’ont pas lieu d’être ici.
En tout cas ce n’est clairement pas parce que Esaïe s’engage pour Dieu qu’il est pardonné.
C’est dans l’ordre inverse.
C’est parce que Dieu a vu en lui ce qu’il y avait de juste, de clair et de droit, qu’Esaïe s’engage.
Le voilà notre Dieu d’amour, de pardon et de grâce que je vous avais promis au début.
Est-ce que vous le reconnaissez votre Dieu ?
Le premier geste, c’est toujours Dieu qui le fait vers nous.
Il nous remet en état de marche avant de nous envoyer.
Heureusement d’ailleurs, car si vous lisez la suite, vous verrez que la tâche ne sera pas simple pour Esaïe.
Ce n’est pas à une petite balade de confort que Dieu l’invite.
Mais ça, c’est une autre histoire pour un autre jour.
Pour aujourd’hui, nous sommes avec Dieu, avec un Dieu qui nous enveloppe de sa présence et dans laquelle nous nous voyons comme dans un miroir.
Si dans ce miroir nous voyons ce que nous ne voudrions pas voir, si ce miroir met en évidence une situation malheureuse, si nous nous sentons perdu, dépassé par la détresse, Dieu n’est pas loin, pour nous toucher, nous restaurer.
Le mot hébreu traduit par « péché » (חַטָּא) – « ton péché est expié » – veut à l’origine dire manquer sa cible, manquer son but, ne pas être bien aligné.
C’est avant tout une question de position et de direction.
Ce mot n’a pas de connotation spécifiquement moralisante, il n’est pas tant axé sur la faute ni sur la culpabilisation, comme ce sera vite le cas dans le Christianisme.
D’ailleurs sortir de cet état de péché est toujours possible.
Il faut avant tout le souhaiter, souhaiter changer de direction pour atteindre son but, rien ne va se faire contre notre volonté.
Puis renforcer son lien avec Dieu.
Et là c’est Dieu qui fait le premier pas.
Laissez-vous remplir par la présence de Dieu, et du fond de cette présence il vous appellera.
Amen
[1] 1 Rois 6