Tu aimeras ton prochain comme toi-même

Deutéronome 2.1-6 et Marc 12.28-34

שְׁמַ֖ע יִשְׂרָאֵ֑ל יְהוָ֥ה אֱלֹהֵ֖ינוּ יְהוָ֥ה ׀ אֶחָֽד׃
וְאָ֣הַבְתָּ֔ אֵ֖ת יְהוָ֣ה אֱלֹהֶ֑יךָ בְּכָל־לְבָבְךָ֥ וּבְכָל־נַפְשְׁךָ֖ וּבְכָל־מְאֹדֶֽךָ׃

Si je devais donner un nom à cette prédication ce serait bien sûr « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Ceux parmi vous qui sont fidèles aux cultes diront qu’il y a moins de deux mois, je vous avais déjà proposé une prédication sur ce verset. C’est vrai. Et ce verset, nous l’avions lu dans le livre du Lévitique et dans l’épître de Jacques. Ce matin c’est dans l’évangile de Marc. Ce même verset se trouve à de nombreuses reprises dans la Bible, dans le Nouveau comme dans l’Ancien Testament, dans les évangiles comme dans les épîtres, et s’il est tant répété c’est que c’est un verset central de notre foi et une prédication dessus une fois tous les deux mois n’est certainement pas de trop pour creuser sa signification !
Surtout que ce sont souvent ces versets que l’on reprend dans la liturgie pour le rappel de la loi, comme ce matin, donc autant essayer d’approfondir ce qu’ils veulent nous dire.
Alors allons-y !

La question posée par le scribe n’est pas tout à fait rendue par « Quel est le premier de tous les commandement ? ».
Quelque chose de plus proche du grec, mais de beaucoup moins joli en français, serait « Quel est le premier commandement de toutes choses ? »
C’est à dire que le scribe ne s’inquiète pas de classer les commandements entre eux pour connaître le premier, mais il veut connaître le commandement qui serait au-dessus de toutes choses.
Au-dessus même du concept de commandement. Au-dessus de tout.
Ce n’est pas très étonnant car dans le judaïsme de l’époque tous les commandements ont la même valeur et en enfreindre un c’est les enfreindre tous.
Là il s’agit de savoir ce qui est au-delà même des commandements.
Grâce à ce commandement, ce scribe et Jésus vont se mettre d’accord.
Quoi de plus naturel pour ces deux juifs que sont Jésus et le scribe de tomber d’accord sur le shema Israël !
Shema cela veut dire « écoute » en hébreu et Shema Israël c’est le nom donné à la prière qui commence par :
« écoute Israël, le Seigneur notre Dieu, le Seigneur est un !
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. »
C’est le credo fondamental de la foi juive, que tout juif pratiquant récite matin et soir, qui est placé sur le montant des portes des maisons.
Jésus reprend la citation du Deutéronome que nous avons lue mais il y ajoute un terme, il rajoute « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton intelligence ».
Cela donne « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence et de toute ta force. »
« Aimer Dieu » c’est mettre sa foi en lui au regard de l’amour infini et éternel qu’il nous offre.
Le cœur, pour les hébreux, n’est pas le siège des passions et des sentiments mais plutôt celui de la volonté et du sens moral.
Le mot traduit par « âme » est en réalité le principe de vie, le souffle de vie, qui différencie un être vivant d’un être inanimé.
Donc, « aimer Dieu – c’est-à-dire croire en lui – de toute notre volonté, de toute notre vie et de toute notre force ».
Et Jésus rajoute de toute notre intelligence.
Et ce n’est pas n’importe quoi que Jésus rajoute, c’est l’intelligence, la pensée, le raisonnement, la réflexion.
On peut certainement y voir l’influence du monde grec et de ses philosophes qui développent une pensée rationnelle.
Croire en un seul Dieu, dans ce milieu sous domination gréco-romaine donc envahi de polythéisme, relève de la volonté et de la pensée.
Comme de rallier le mouvement de ce Jésus qui repense l’assujettissement à la loi de Moïse pour en faire une liberté tournée vers les autres, quels qu’ils soient.
« Réfléchir à ce à quoi on croit » : c’est ça le commandement qui est au-dessus de toutes choses !
Le geste de penser la foi est la quintessence de la volonté de Dieu pour nous. Certains disent que ce n’est pas compatibles avec la vraie foi, qui elle se passe de réflexion. Mais Jésus nous le dit, on doit croire en Dieu avec tout son cœur, toute sa vie, toute sa force et avec toute son intelligence !

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Ce commandement ne nous ordonne pas d’aimer les autres, ce serait peine perdue !
Il est tout à fait impossible d’aimer sur commande, l’amour ne relève pas de la volonté.
Ce commandement ne nous demande pas de modifier nos sentiments, il nous demande de ne pas nous laisser guider par nos sentiments. On ne peut pas commander nos sentiments mais on peut commander nos actes. Là où nous laisserions notre indifférence, notre mépris, notre haine, notre jalousie, notre méfiance nous dicter notre conduite vis-à-vis d’autrui, Jésus nous dit d’utiliser notre intelligence et notre volonté pour agir avec bienveillance. Là où nous ne serions gentils et tolérants qu’avec ceux que nous aimons, Jésus nous dit : « tu feras exprès d’être aimable, coopératif et généreux avec tous. »

Montrer de la bienveillance dans les limites de ce qui peut être fait volontairement cela demande de réfléchir aux limites de la volonté. Cela demande d’interroger sans cesse nos pratiques mais aussi bien sûr notre foi. Réfléchir à ce à quoi on croit, à ce que l’on fait et pourquoi on le fait.
Car Dieu ne nous demande pas d’accepter tout de la part des autres. Il y a des choses intolérables, insupportables, c’est un fait.
Dieu nous demande de prendre conscience de ce qui est intolérable ou insupportable mais de ne pas nous y laisser engloutir, de ne pas nous y murer et de ne pas y perdre notre intelligence. Il nous demande de ne pas fermer la porte, de ne pas se centrer sur nos certitudes, de laisser toujours ouverte la possibilité du dialogue, du changement et de la réconciliation …

Et pourquoi Jésus préconise-t-il, reprenant le commandement que Dieu donna à Moïse dans le Lévitique, d’aimer son prochain comme soi-même ?
Parce que c’est là le moyen de donner une dimension concrète à cet amour radical que Dieu nous offre.
Croire de tout son cœur, de toute son âme, de toute son intelligence et de toute sa force que Dieu nous aime, cela se transpose, en pratique, par aimer son prochain. Mais ce n’est certainement pas ce que nous ferions spontanément.
Enfin plus ou moins.
Dieu a créé les êtres humains doués d’intelligence et de raisonnement.
Notre intelligence est à mettre au service de Dieu. Et le service de Dieu sur terre, c’est d’aimer notre prochain. C’est là toute la force de la réponse de Jésus, lier l’amour que Dieu nous porte à l’amour que nous portons à notre prochain. L’un est l’incarnation de l’autre. Attention, ce n’est pas pour s’obtenir les bonnes grâces de Dieu et son pardon, qu’il faut aimer son prochain. C’est parce qu’on met notre espérance en Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de toute notre intelligence et de toute notre force que l’on peut aimer son prochain, que l’on en vient à aimer son prochain comme soi-même.

Comme soi-même.
Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a plus de différence entre soi et les autres ? Les autres sont-ils un autre soi-même ? Mais qui est ce soi-même ?
Soi-même dans l’anthropologie dessinée par l’Évangile, est un être créé par Dieu et aimé de lui, infiniment et gratuitement. Se voir comme une créature de Dieu, c’est se voir à travers les yeux et l’amour d’un tiers. Et on se voit différemment à travers l’amour de Dieu qu’à travers nos propres yeux.
Il y a déjà de l’altérité dans le fait de se voir soi-même comme aimé de Dieu. Le soi-même aimé de Dieu est déjà un autre soi que celui que l’on perçoit nous-même. Et c’est à travers les yeux et l’amour de Dieu que Jésus nous demande de voir les autres. Alors quand l’autre nous met dans une situation impossible, qu’à cause de lui nous sommes déchirés par la souffrance ou la révolte, cet amour infini et gratuit que Dieu nous porte nous donne la possibilité d’enlever les lunettes de nos sentiments humains et de voir l’autre avec les yeux de Dieu et de changer ainsi peut-être notre regard sur l’autre.

Autrefois, comme le rappelle le scribe de notre histoire, on faisait des sacrifices au Temple en témoignage de sa foi. Une petite explication peut-être sur le terme holocauste :
Les holocaustes : d’un mot grec qui veut dire entièrement brûlé.
Les sacrifices d’holocauste que l’on faisait au temple c’est ceux où l’animal sacrifié était entièrement brûlé, c’est-à-dire entièrement offert à Dieu.
Dans d’autres sacrifices qui n’étaient pas des holocaustes, on récupérait certaines parties de l’animal pour les manger.

Autrefois les sacrifices, et maintenant il y a quelque chose de nouveau pour témoigner de notre foi et de notre amour en Dieu, notre Dieu unique, c’est d’aimer notre prochain, de l’aimer comme nous-même notre sommes aimé de Dieu, et pas comme nous l’aurions aimé ou pas aimé spontanément.

À la fin du dialogue entre Jésus et le scribe, Marc nous dit que Jésus a constaté que le scribe a répondu « judicieusement ».
Ce mot « judicieusement » a la même racine en grec que le mot employé par Jésus et que l’on traduit par intelligence.
On pourrait dire « Jésus, voyant que le scribe avait répondu avec intelligence ».
À la fin du récit se trouve réitérée cette affirmation que la foi ne dispense pas de l’intelligence, croire ne va pas sans réfléchir.
C’est même la réflexion qui donne à la foi toute sa dimension et en tout cas son application concrète : aimer son prochain comme soi-même.
Réfléchir, traduire et interpréter les Écritures, c’est le geste de Jésus qui élabore une nouvelle conception de la loi de Moïse.
C’est le geste de Luther qui révèle toute la puissance de la grâce de Dieu.
C’est le geste de tous les amoureux de la Bible, gestes qu’il font dimanche après dimanche pour chercher dans les textes, avec tout leur cœur, toute leur âme, toute leur intelligence et toute leur force la parole que Dieu leur adresse.

Amen

Plaisance, dimanche 4 novembre 2018 — Pasteure Marie-Pierre Cournot

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