1 Roi 17.8-16 — La veuve de Sarepta
Marc 12.38-44 — La pauvre veuve au Temple de Jérusalem
Elie, caché près de son oued asséché, va bientôt mourir de faim et de soif à cause de la sècheresse.
Mais Dieu qui prend soin de lui, lui ordonne de partir à Sarepta où une veuve pourvoira à ses besoins.
Il fait confiance à Dieu et alors qu’il était près du Jourdain, traverse Israël d’est en ouest pour se rendre à Sarepta, ville située au bord de la méditerranée entre deux grosses cités phéniciennes, Tyr et sidon, dans la région actuelle du Liban.
En arrivant à Sarepta, Elie rencontre une veuve qui ramassait du bois dans la campagne.
Les veuves dans le proche orient ancien et dans l’Antiquité n’ont pas la vie facile.
Si elle n’ont pas un homme pour les faire vivre, c’est-à-dire, leur père ou un fils adulte, elles vivent de l’aumône publique et de ce qu’elle ramassent dans les champs quand on veut bien les laisser glaner.
Là la veuve ramasse du bois.
On imagine volontiers qu’en arrivant à Sarepta Elie est moribond après ce voyage sans eau, il demande donc à la veuve de lui apporter de l’eau, dans un récipient.
Ensuite il lui demandera de lui donner du pain, dans sa main.
Peu après la cruche d’huile et le pot de farine ne désempliront pas.
Les récipients et les contenants qui étaient vides seront remplis.
Quand le récipient est asséché, la main sans pain, la cruche sans huile et le pot sans farine, c’est la mort.
La vie, c’est quand les manques sont comblés, en tout cas quand les bonnes choses sont au bon endroit.
On ne peut pas mettre de l’eau, de l’huile ou de la farine dans sa main, sinon on perd tout à travers ses doigts !
Et conserver la farine dans la cruche d’huile fait perdre à la fois la farine et l’huile !
Dans l’histoire du Nouveau Testament, de la veuve du temple de Jérusalem qui met ses deux sous dans le tronc du trésor, on a aussi la question de ce qu’il faut mettre au bon endroit.
Qu’est-il adéquat de mettre dans le tronc du temple ?
Des monnaies de bronze comme le fait la foule ?
Ce que l’on a de superflu, comme le fond les nombreux riches ?
Ou deux petits sous de rien du tout qui représentent toute la vie de la pauvre veuve ?
On a souvent interprété cette histoire en louant le comportement de la veuve du Temple de Jérusalem qui donne tout ce qu’elle a et en fustigeant celui des riches qui ne donnent que ce dont ils n’ont pas besoin.
Pourtant à aucun moment, Jésus ne dit que le comportement de la veuve est meilleur ou pire que celui des riches.
Il constate c’est tout.
Il constate que les choses ne sont pas comme on les voit.
On croirait que les riches donnent beaucoup plus que la veuve.
Mais Jésus nous dit qu’il ne faut pas se fier aux apparences.
Déjà dans l’introduction de ce passage, Jésus avait critiqué les scribes qui font tout un tas de choses pour l’apparence, jusqu’à dit-il, pour l’apparence, faire de longues prières alors qu’ils dévorent les maisons des veuves, c’est-à-dire qu’ils leur prennent tout ce qu’elles ont.
Mais qu’est ce que c’est que cette organisation ecclésiale qui non seulement ne protège pas les personnes faibles ou démunies, mais leur prend tous leurs biens ?
Voire, qui par je ne sais quel stratagème, les convint de se dépouiller de tout ?
Je ne serais pas étonnée que la veuve de Sarepta, elle aussi ait donné des galettes au temple pour un sacrifice cultuel.
Le dieu des Phéniciens, donc de la veuve de Sarepta, ce n’est pas Yhwh, c’est Baal.
D’ailleurs la veuve dira à Elie « Par la vie de Yhwh ton Dieu ».
Mais le temple de Baal ou celui de Yhwh se valent s’ils ne prennent pas soin de ceux qui en ont besoin et vivent même en quelque sorte sur leur dos !
Je ne crois pas un instant qu’il faille se défaire volontairement de tout ce que l’on possède au point de mettre sa vie et celle de sa famille en danger.
Je ne crois pas qu’il faille, comme la veuve du Temple de Jérusalem donner ses derniers deux sous, ni ses deux dernières galettes comme la veuve de Sarepta.
L’évangéliste Marc et Luc aussi qui rapporte le même récit connaissaient sûrement le passage de la veuve de Sarepta du 1er livre des Rois.
Le mot que l’on traduit par Galette, est un mot très rare, d’une signification obscure, il est construit à partir d’une racine qui veut dire quelque chose de rond, comme un disque ou un sou justement.
La veuve de Sarepta n’avait plus que deux sous, si tant est qu’une pauvre veuve ait des pièces de monnaie à cette époque.
Mais la racine veut aussi dire cuire, et c’est donc devenu en français quelque chose de rond et de cuit, d’où galette.
Bref, les deux veuves donnent tout ce qu’elles ont.
Marc insiste deux fois sur « tout » (v. 44) :
« car tous ont mis de leur abondance, mais elle, elle a mis, de son manque, tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »
Elle a tout mis.
Je pense que cette insistance nous dit que la veuve a mis quelque chose de sa vie, c’est-à-dire d’elle-même.
Elle donne avec authenticité, avec sincérité.
Elle donne avec confiance comme la veuve de Sarepta.
Elle a offert son manque, mais malheureusement l’histoire ne nous dit pas comment il va être comblé.
Les bonnes choses au bon endroit.
Une galette pour Elie, puis deux pour la veuve et son fils.
Et chaque jour cela recommencera, une galette pour Elie, puis deux pour la veuve et son fils.
C’est dans cette confiance que la veuve fait à Elie que la vie va pouvoir renaître.
Elle nourrit Elie qui mourrait de faim et de soif et il lui assure de quoi vivre, à elle et son fils, jusqu’à la fin de la sécheresse.
Échange de bon procédés ? Si l’on veut.
Je préfère dire transformation de manques en énergie vitale par une confiance réciproque qui va au-delà même des croyances religieuses.
Puisque c’est cette pauvre petite veuve misérable qui croit en Baal qui nourrit l’étranger mécréant qu’est Elie.
Elle lui dit « par la vie de Yhwh ton Dieu ».
Oui, dans ce don, il y a un don de vie, un don vivant.
Quand je vous dit au moment de la collecte presque tous les dimanches, que ce qui compte ce n’est pas ce que vous donnez mais la joie que cela vous procure de donner, c’est exactement cela que je veux dire.
Donner avec confiance.
« N’aie pas peur » dit Elie à la veuve.
Parce que l’on donne dans la confiance de donner la part qu’il nous revient de donner et que cette part fera œuvre de vie dans les mains de celui a qui on la donne.
Au bord de son oued, Elie était nourri par les corbeaux envoyés par Dieu.
A Sarepta, il sera nourri par la veuve, aussi envoyée par Dieu.
Entre les corbeaux et la misérable veuve marginale, les porteurs de vie que Dieu nous envoie sont décidément assez inattendus !
Dans ces échanges de nourriture entre Elie et la veuve, je l’ai dit, il faut que les bonnes choses soient au bon endroit.
Mais il faut aussi se les échanger.
C’est aussi je pense un des enseignements de cette histoire, c’est que rien ne nous appartient.
Tout n’est là que pour être échangé, pour que de cet échange naisse de la vie.
Je crois qu’il nous appartient de décider de ce dont nous avons besoin pour vivre, et d’échanger le reste, dans la confiance.
Toute l’histoire qui se tisse entre Elie et la veuve démarre par un « donne-moi » et cela ira, un peu après notre passage, jusqu’à la résurrection du fils de la veuve par Elie.
Quand Eli lui dit « prépare-moi d’abord une petite galette », le mot « d’abord » en hébreu, c’est la même racine que beréchit, le premier mot de la Bible, celui qui inaugure la création et que l’on traduit habituellement par « au commencement ».
Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, etc …
Ici c’est un recommencement, comme une nouvelle création.
Cet échange de don remet de la vie là où l’on attendait plus que la mort.
On ne peut pas juste donner pour donner.
Si l’on devait reprocher quelque chose aux riches qui donnent leur superflu dans le Temple de Jérusalem, ce serait peut-être cela.
De ne faire que donner.
De donner comme pour se débarrasser.
De ne rien y mettre d’eux-mêmes, rien de vital, seulement des apparences.
Alors que nos deux veuves, peut-être parce qu’elles n’ont plus rien, leurs dons les engagent, ils engagent leur vie.
Ils les engagent aussi parce qu’ils se font dans la confiance, et pour la veuve de Sarepta, parce qu’il se fait dans l’échange.
L’échange c’est le principe même de toute relation.
Une relation implique forcément au moins deux personnes, on ne peut pas avoir de relation tout seul face à soi-même.
Et dans chaque relation on met un peu de sa vie.
Il y a de ça aussi dans notre relation avec Dieu.
De la confiance et de l’échange.
A condition d’y mettre de nous-mêmes, de notre authenticité, de notre vie.
De ne pas rester dans le superflu et dans les apparences.
C’est alors que, comme la veuve du temple de Jérusalem, nous pouvons offrir nos manques à Dieu.
Et comme dans l’évangile de Marc, l’histoire ne dit pas comment nos manques seront comblés.
Mais si nous mettons les bonnes choses au bon endroit, avec sincérité, alors la relation devient fertile et vivante.
Elle nous nourrit.
Amen
Plaisance, dimanche 11 novembre 2019 — Pasteure Marie-Pierre Cournot