Daniel 7.9 – 10.12-13
Marc 16.24-32
C’est un peu déroutant ces tableaux dramatiques qui évoquent la fin du monde et le jugement dernier !
Et pourtant ce matin nous allons parler de confiance et de la vie présente.
Le livre de Daniel appartient à ce que l’on appelle la littérature juive apocalyptique.
C’est une littérature assez fournie qui contient des descriptions « apocalyptiques » de la fin du monde et du jugement qui l’accompagne, le « jugement dernier ».
D’ailleurs, le prénom Daniel veut dire « Dieu juge ».
Cette littérature s’est développée dans un contexte de crise après la destruction du temple de Jérusalem en 587 avant J.-C. et sa production se concentre entre le 2e siècle avant J.-C. et le 2e siècle après.
Le livre de Daniel est donc un des livres les plus récents de l’Ancien Testament, probablement écrit environ 150 ans avant J.-C.
Au chapitre 7 commence le récit des visions de Daniel.
Dans la première, Daniel voit sortir de la mer quatre effroyables bêtes imaginaires, qui représentent symboliquement les ennemis successifs d’Israël, des Babyloniens aux Romains en passant par les Perses.
Ces bêtes vont être jugées et condamnées, par un tribunal présidé par Dieu.
Par Dieu ou par un vieillard ?
Ce vieillard à l’épaisse chevelure blanche est une représentation de Dieu (cf. image de Dieu comme un vieillard barbu !).
Il est jaillissement de feu car le feu est une représentation classique de la puissance de Dieu.
Et il est entouré d’une armée géante à son service symbolisée par les unités militaires que sont les milliers et les myriades.
Majestueusement installé sur son trône divin, entouré de son armée céleste, Dieu ouvre la séance du tribunal chargé de juger toutes les créatures.
Puis, au verset 13, arrive au milieu de ce tribunal, un mystérieux personnage appelé dans le texte araméen, « fils de l’humanité ».
C’est pour cela que je vous ai proposé ce matin la traduction de la TOB qui, plus fidèle au texte araméen, traduit par « fils de l’homme », car la NBS propose non pas « fils de l’homme » ou « fils de l’humanité » mais « quelqu’un qui ressemblait à un être humain » ce qui ne rend pas vraiment le texte araméen.
Les nuées, qui entourent l’arrivée de cet homme, sont très souvent dans l’Ancien Testament, comme le feu, un signe de théophanie c’est-à-dire d’apparition divine.
Le verset 14 confirme que tous les attributs divins sont donnés à ce fils d’humanité : souveraineté, gloire et royauté. Sa souveraineté est universelle, tous les peuples le servaient, et éternelle.
Daniel dans son rêve voit donc arriver du ciel un homme divin qui vient prendre part au tribunal céleste en charge du grand jugement de toutes créatures.
D’autres textes de la littérature apocalyptique évoquent un homme-dieu descendu du ciel.
Dans un livre qui ne fait pas partie de la Bible sauf dans l’Église éthiopienne, le livre d’Hénoch, on assiste à un jugement présidé par « le fils de l’homme ».
C’est la même expression.
Il a été choisi par Dieu et s’appelle « l’élu ». Comme élu, il a été oint et porte donc aussi le nom de « oint » ou « Messie ».
On ne sait pas précisément quand a été écrit le livre d’Hénoch, autour du changement d’ère, difficile donc de dire dans quel sens se sont fait les influences entre le livre d’Hénoch et le Nouveau Testament.
En tout cas, le Nouveau Testament reprend cette tradition apocalyptique du fils de l’homme, essentiellement dans les évangiles.
Il y a plus de 80 occurrences de l’expression « fils de l’homme » dans les évangiles, toutes sont dans la bouche de Jésus lui-même.
Il y a eu et il y aura encore énormément de recherches et de travaux sur cette appellation mais on s’accorde plus ou moins pour penser, peut-être à quelques exceptions près, que Jésus désigne sa personne quand il dit « le Fils de l’homme ».
La question c’est de savoir quels aspects de sa personne Jésus met en avant ou de quelle temporalité il est question à travers cette formule.
C’est assez perturbant d’appeler « fils de l’homme » quelqu’un qui a cette exceptionnelle particularité d’être « fils de Dieu ».
On a vu dans le livre de Daniel et dans celui d’Hénoch, que dans l’expression « fils de l’homme » se tiennent à la fois la notion d’humanité et celle de divinité et qu’il vient pour participer au jugement dernier, c’est-à-dire à la fin des temps.
Dans les évangiles il y a plusieurs contextes d’utilisation de cette expression qui explorent tous les différentes nuances, d’une part de l’articulation de la divinité et de l’humanité de Jésus, d’autre part de sa présence et de son absence.
D’ailleurs quand Jésus emploie cette expression, on a souvent l’impression que cela lui permet de mettre une certaine distance entre lui dans le moment et la configuration dans laquelle il parle, et ce que cette expression représente.
Comme si c’était pour lui une façon d’introduire une part de mystère dans son personnage.
Dans le passage de l’évangile de Marc que nous avons lu, on retrouve un tableau très proche de celui de Daniel, à tel point que l’on considère habituellement qu’il s’agit d’une citation du texte de Daniel :
« Alors on verra le Fils de l’homme venir, entouré de nuées, dans la plénitude de la puissance et dans la gloire. »
Chez Marc, le fils de l’homme, arrive dans un contexte apocalyptique caractérisé par un tableau terrifiant emprunté à Esaïe et à d’autres prophètes de l’Ancien Testament : extinction du soleil et de la lune, chute des étoiles et ébranlement général.
Ce décor de cataclysme cosmique annonce, dans toute la littérature apocalyptique, la fin du monde et donc le jugement dernier.
Quand les éléments cosmiques se déchainent, la fin des temps s’annonce, Dieu et son tribunal ne sont pas loin.
L’arrivée de Jésus annonce-t-elle la fin du monde ?
Frères et sœurs, il est possible que la fin du monde soit proche.
Un certain nombre de catastrophes actuelles, comme les incendies en Californie ou les inondations ailleurs, peuvent nous le faire penser.
De même que l’état général très détérioré de notre planète qui engage notre pronostic vital.
Sans parler des guerres et des drames humanitaires que les dérèglements climatiques favorisent, souvent sur un fond de raréfaction des ressources naturelles.
Il est possible que la fin du monde soit proche ou très proche.
Je n’en sais rien.
D’ailleurs Marc nous le dit :
« Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. Mais ce jour ou cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père. »
Mais ce qui est sûr c’est que la venue de Jésus c’est maintenant. Il est là.
Il n’est pas annoncé par des désastres, il est annoncé par le printemps, par des petites pousses tendres et vertes qui cherchent la lumière et la chaleur naissante du printemps.
On est bien loin du tableau apocalyptique de la fin des temps :
« … dès que ses rameaux deviennent tendres et que poussent ses feuilles, vous reconnaissez que l’été est proche. De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Fils de l’homme est proche, qu’il est à vos portes. »
Jésus, ce fils de l’homme qui descend du ciel empreint d’une divinité qu’il apporte sur terre, anticipe le jugement dernier de la fin du monde en le rendant actuel et présent pour chacun dans notre vie.
Ou plus exactement dans l’évangile de Marc, Jésus remplace le jugement dernier en se faisant présent dans notre vie, car chez Marc, nulle notion de jugement.
Jésus n’arrive pas une fois pour toute, une unique fois tant attendue, non, il arrive dans un perpétuel renouvellement inscrit dans un cycle cosmique inaliénable, celui des saisons.
La présence de Jésus dans notre vie s’annonce, puis se vit et enfin se renouvelle pour chacun de nous.
C’est pourquoi dans l’assurance de cette métamorphose à chaque fois remise en jeu par les catastrophes du monde et les souffrances de la vie auxquels le fils de l’homme a pleinement pris part dans son humanité, mais à chaque fois gagnée, le bourgeon de notre espérance peut se transformer en confiance.
La littérature apocalyptique d’une certaine manière en témoigne, elle qui nait dans un contexte de crise dramatique, et qui affirme malgré tout sa foi dans un soutien indéfectible de Dieu.
Confiance en ce fils de l’homme venu du ciel dans toute sa divinité et retourné auprès de Dieu après avoir traversé la mort.
Sa présence auprès de nous maintenant, et non à la fin des temps, est une présence actuelle mais aussi une présence qui excède la mort, la dépasse.
Jésus se tient près de nous dans notre vie et sera là aussi dans notre mort.
L’expression « le Fils de l’homme », héritée de la tradition apocalyptique et transformée par l’approche chrétienne, permet de tenir en tension dans le personnage de Jésus plusieurs dimensions, plusieurs temporalités, plusieurs espaces.
Le fils de l’homme est cet être humain qui rend Dieu présent sur terre maintenant dans la confiance de sa présence à venir, pour toujours.
Amen
Plaisance, dimanche 25 novembre 2018 — Pasteure Marie-Pierre Cournot