1 Corinthiens, 12.12-30
Vous pensiez que Paul était un homme austère et prude ?
Adepte de la chasteté et dissimulateur du corps des femmes ?
Que d’après lui rien de bien ne peut venir du corps ?
Et bien vous vous trompiez !
La correspondance de Paul est marquée par le thème du corps, et pas toujours pour en dire du mal, loin de là !
C’est que Paul, juif issu d’une famille cultivée, est imprégné de la compréhension hébraïque du corps : le corps est un tout, qui comprend l’âme et la chair, indissociables.
Le corps pour Paul, c’est ce que nous nous appellerions la personne.
Il y a deux fois plus d’occurrences du mot « corps », « sw’ma » en grec, dans la correspondance de Paul que dans les quatre évangiles réunis.
Et presque les deux tiers sont dans le première lettre aux Corinthiens.
Nul doute que les Corinthiens, dont une partie sont des anciens esclaves qui savent très bien ce que c’est de n’être pas libre de son corps, vont être particulièrement sensibles à cette thématique du corps et de la liberté atteinte par l’incorporation au Christ.
Paul est aussi très influencé par la culture hellénistique dominante dans laquelle la perception du corps est différente de la compréhension hébraïque.
Pour Platon et son disciple Aristote, 4 à 5 siècles avant Paul, le corps n’est que l’aspect matériel de la personne, sans intérêt contrairement à son esprit.
Un peu plus trad, les stoïciens vont développer un autre concept du corps, le corps comme image de l’unité, reflet de l’unité cosmique du monde : le principe de vie qui régit l’univers est aussi celui qui anime l’être humain.
À partir de là, une métaphore devient courante dans le monde grec, celle de la comparaison de l’État (avec un E majuscule) à un corps humain, permettant de décrire les différentes relations d’opposition et de dépendance des différentes parties de ce corps-État.
La plus ancienne de ces métaphores, appliquée au domaine politique, se trouve dans la fable de Menenius Agrippa, consul à Rome à la fin du 6e siècle avant J.C.
À l’occasion d’une rébellion du peuple contre le sénat, il s’adresse au peuple en comparant le sénat à l’estomac et le peuple aux autres parties du corps humains.
Celles-ci se révoltent contre l’estomac qui, d’après elles, est fainéant, ne fait que recevoir la nourriture qu’on lui donne et ne sert à rien.
Les différentes parties du corps décident de s’unir pour affamer l’estomac : les pieds ne se déplaceront plus vers la nourriture, la main ne la prendra plus, la bouche ne mâchera plus, etc.
Ce qui fut dit fut fait, et évidemment au final, toutes les parties du corps sont affamées !
Elles comprennent ainsi qu’elles ont besoin de l’estomac.
L’estomac et les autres parties du corps, nous dit Menenius Agrippa « sont comme un seul corps, périssent par la désunion, et vivent pleins de force par la concorde ».
Cette fable est bien connue dans le monde de Paul et de ses destinataires.
Paul, vous l’aurez bien compris, ne s’intéresse pas ici à notre anatomie.
La question qu’il aborde c’est ce que nous sommes.
Dans les versets que nous avons lus il y a 15 fois le verbe être, et pourtant, le grec utilise ce verbe bien moins souvent que le français.
Il s’agit bien de définir notre identité, identité qui se définit en Christ et se réalise à travers notre appartenance à ce que Paul va appeler « le corps du Christ ».
Ce nouveau « corps du Christ » Paul le dessine à travers quatre dimensions :
D’abord, la notion hébraïque d’entièreté : le corps est l’individu, y compris son âme ou son esprit, pas seulement son enveloppe physique.
Ensuite, l’influence grecque du corps comme métaphore de l’unité entre plusieurs parties, l’unité d’une diversité
Enfin, la dimension collective du corps, le corps comme image d’une communauté.
Entièreté, diversité, unité, communauté.
On a gardé en français des traces d’une conception proche quand on parle du corps enseignant ou du corps ecclésiastique ou même d’un corps d’État.
Dès le premier verset, le Christ prend déjà une tonalité plurielle, un sens collectif, grâce à ce rapprochement que Paul fait entre les premiers Chrétiens et le Christ présenté lui-même comme un corps humain composé de plusieurs membres :
« En effet, comme le corps est un, tout en ayant une multitude de parties, et comme toutes les parties du corps, en dépit de leur multitude, ne sont qu’un seul corps, ainsi en est-il du Christ. »
C’est l’Esprit de Dieu qui nous rassemble par le baptême dans une nouvelle entité que Paul appelle « un corps », « le corps du Christ ».
Cette appartenance à cette entité nouvelle, relègue au second plan les différences qu’il y avait avant entre nous, elle nous en libère : Juifs, Grecs, esclaves, hommes libres, dit Paul décrivant l’origine des croyants de Corinthe, nous avons reçu le baptême pour appartenir à un seul corps, celui du Christ.
Nous aussi, vingt siècles plus tard, nous appartenons à ce même corps.
À l’origine catholique, orthodoxe, protestant, athée, servant différents dieux pas toujours clairement identifiés, ou même sans origine, nous sommes maintenant toujours aussi différents les uns des autres, mais membres de ce même corps.
Paul veut clairement faire tomber les distinctions que les hommes et les femmes ont construites dans le but d’instaurer des barrières sociales ou religieuses entre eux.
À travers sa métaphore, reprise de celle de Menenius Agrippa, Paul va développer ce concept des croyants formant le corps du Christ, en insistant sur la diversité des membres de ce corps.
Il ne s’agit pas pour Paul de gommer les différences mais de les inclure dans une unité globalisante, presque cosmique.
En effet Paul nous dit : « En fait, Dieu a placé chacune des parties dans le corps comme il l’a voulu. »
La diversité des membres et de leurs fonctions est d’institution divine.
Elle est un des lieux de l’agir divin.
Frères et sœurs, Dieu a voulu que nous soyons différents, alors pourquoi vouloir faire entrer tout le monde dans les mêmes normes, les mêmes dogmes ou les mêmes rites ?
Pourquoi vouloir que tous aient les mêmes idées ? Et si possible, plutôt les miennes …
Au fur et à mesure, le discours de Paul devient très imagé, empreint d’humour, voire d’une ironie certaine.
Paul met en scène des êtres humains monstrueux, totalement difformes et évidemment non viables, réduits à un seul organe géant.
Imaginez, une oreille qui se croit si importante qu’elle se développe au point d’absorber et d’anéantir tous les autres parties du corps !
L’effet d’absurde est ici à son comble et la description confine au plus grand ridicule si ce n’est même au tragique.
On ne sait plus si Paul nous raconte une farce ou un drame.
Et pourtant c’est une farce ou un drame de nos vies.
Il arrive souvent dans nos communautés, dans nos familles, dès que deux ou trois sont réunis, que l’un se croit dépositaire de la voix ou de la pensée de l’ensemble des membres et que les autres n’aient plus la place de s’exprimer !
On voit que la main, qui était présentée au début comme pouvant éventuellement prétendre à une supériorité sur le pied, se retrouve ensuite en compétition avec la tête, elle-même mise par Paul sur un plan d’égalité avec les pieds !
Aucune hiérarchie entre les membres n’est décidemment possible, chacun est dépendant des autres et réciproquement.
Pour autant les membres ne sont pas interchangeables, certes de rang égal, chacun garde sa fonction et sa spécificité.
Je suis sûre que les Corinthiens s’y sont reconnus, en tout cas moi je nous y reconnais !
Je ne sais pas qui aurait parié sur une équipe comme la nôtre, les Chrétiens, faite de personne si disparates ayant si peu en commun.
Et pourtant, tous ensemble nous dessinons le corps du Christ.
Ce corps qui est le Christ.
Et cette nouvelle appartenance au Christ nous transforme.
Nous étions des êtres individuels, seuls et isolés.
Éventuellement juxtaposés.
Nous sommes maintenant des êtres de relation liés par cette appartenance à un tout.
Ainsi nous pouvons « faire communauté » et nous déplacer ensemble pour aller à la rencontre du Christ.
Nous vivons une mutation, ou peut-être une métamorphose de notre propre corps.
Nous n’étions nous-mêmes qu’un assemblage de plusieurs membres.
Nous sommes devenus des participants au corps du Christ, à titre individuel autant que communautaire.
Notre communauté, elle aussi rassemblement, parfois bringuebalant parois solide, de différents membres, tient son unité non pas de notre histoire ou de notre passé mais de notre incorporation au corps du Christ, incorporation qui nous est donnée par Dieu.
« Vous êtes le corps du Christ, vous en faites partie chacun pour sa part. »
Amen
Pasteure Marie-Pierre Cournot