La loi

Matthieu 5.17-26

« Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez jamais dans le royaume des cieux »

Frères et sœurs, chers amis,
Je vais vous dire au fond ce que je pense.
Dans la vie, il y a deux sortes d’êtres humains :
ceux qui ne veulent jamais lire les modes d’emploi,
et ceux qui croient qu’ils savent lire les modes d’emploi.
Je fais partie de la deuxième catégorie, ceux qui croient qu’ils savent lire les modes d’emploi.

Je me réjouis donc que Matthieu nous ait donné le mode d’emploi pour entrer dans le Royaume des cieux.
Mais avez-vous compris la consigne pour entrer dans le Royaume des cieux ?
Pas moi. Et j’ai même plusieurs questions.

Regardons de plus près.
Jésus parle d’abord de la loi et des prophètes, qu’il n’est pas venu abolir.
Quand il dit « la loi » ou « les prophètes », Jésus parle des livres saints juifs qui constitueront les deux premières parties de ce qu’on appellera plus tard l’Ancien Testament.
La première partie s’appelle « La Loi », c’est-à-dire en hébreu « la Tora », et la deuxième partie s’appelle les « Prophètes » dont le nom en hébreu nous est moins familier « Névi’im ».
La Tora, donc « La loi », ce sont les cinq premiers livres de la Bible, ce que les chrétiens appellent le Pentateuque : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome.
Les Prophètes ce sont les livres suivants, parfois appelés « les livres prophétiques ».
Du temps de Jésus l’ensemble des livres prophétiques n’étaient pas encore vraiment constitué en une unité.
De nos jours, il s’agit de : Josué, Juges, 1 et 2 Samuel, 1 et 2 Rois, Esaïe, Jérémie, Ezéchiel, et puis ce qu’on appelle les 12 petits prophètes (petits non parce que les livres ont moins d’importance mais parce qu’ils sont moins longs !) : Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habacuc, Sophonie, Aggée, Zacharie et Malachie.
La troisième partie de la Bible hébraïque, que Jésus ne cite pas ici, c’est ce qu’on appelle « Les écrits », Ketouvim en hébreu, dont la composition diffère entre nos Bibles protestantes et catholiques mais où l’on trouve de toute façon, les Psaumes, le livre de Job, celui de Ruth, le Cantique des cantiques et bien d’autres …
Jésus qui est juif comme toute sa famille et son entourage connaît par cœur la Bible hébraïque, notre Ancien Testament, comme tous les hommes pieux de son époque.
Ces Écritures représentent pour le milieu dans lequel vit Jésus, le récit fondateur de l’identité du peuple et de son histoire.
Elles sont aussi l’histoire de ses relations avec son Dieu, et à ce titre, elles contient la promesse que Dieu enverra un homme, un messie, pour sauver ce peuple de la domination des puissances étrangères qui l’asservissent.
Et enfin les écritures contiennent tout un tas de réglementations qui organisent la vie courante.
Et ce que Jésus dit en premier, c’est qu’il ne vient pas pour abolir les livres de la Loi et ceux des Prophètes, c’est-à-dire les textes saints qui sont à la base de l’identité et de la croyance de ce peuple.
Il insiste : il met en avant l’importance de la Loi en disant que le texte de la loi est immuable, qu’on ne peut ni ne doit rien y changer, pas même un iota qui est la lettre grecque la plus petite.
C’est pourquoi on ne peut écarter aucun des commandements, même le plus petit, au risque d’être soi-même le plus petit dans le Royaume de Dieu.

Dans cette injonction de fidélité absolue aux textes bibliques, on reconnaît parfaitement le comportement et le travail des scribes et des pharisiens qui sont précisément les spécialistes reconnus de la Loi et des commandements.
Pourtant, et c’est ma première question, Jésus affirme que pour entrer dans le Royaume des cieux, il faut que notre justice dépasse celle des pharisiens et des scribes.
Comment peut-on être plus fidèle aux lois que les plus fidèles ?

Ensuite, et c’est ma deuxième question, Jésus dans la suite de ce passage mais aussi dans le reste des évangiles, n’aura de cesse de réinterpréter la Loi et les commandements.
Il va remettre en cause, et à plusieurs reprises, les lois sur le repos du Sabbat, les lois sur la purification de l’alimentation, les lois sur la condamnation de l’adultère, les lois sur les sacrifices faits au temple …
Jésus serait-il le plus petit dans le Royaume des cieux ?

Jésus n’est tout de même pas très cohérent !
Il faudrait à la fois être extrêmement fidèle à la loi et aux commandements, et en même temps que notre comportement soit plus juste que ceux qui sont le plus fidèles à cette loi !
Et cela alors que Jésus lui-même ne l’est pas !
C’est difficile à comprendre.
Et on ne peut pas rejeter la faute sur Matthieu en disant qu’il ne sait pas très bien de quoi il parle puisque la plupart des spécialistes s’accordent pour penser que l’auteur de l’Évangile selon Mathieu était juif.
Il connait parfaitement la Tora, les livres prophétiques et tous les commandements.
D’ailleurs, par rapport aux autres Évangiles, la place de la loi et de la justice est centrale dans l’Évangile de Matthieu.
Et il s’adresse vraisemblablement à un auditoire en grande partie juif également qui comprend donc tout à fait de quoi il s’agit.

« Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir. »
Au lieu de traduire par « accomplir », on pourrait dire « pour donner du sens ».
Jésus est venu pour donner du sens au Pentateuque et aux Livres prophétiques.

Le double sens d’accomplir en français me dérange.
Jésus ne dit pas je suis venu accomplir la Loi dans le sens de la mettre en pratique.
D’ailleurs mettre en pratique les livres prophétiques n’aurait pas beaucoup de sens !
Jésus dit plutôt « je suis venu rendre la loi complète, finir de l’achever, la faire aboutir ».
Il refuse que la loi soit immobile et immuable.
Il y a dans la démarche de Jésus un mouvement, un mouvement qui donne à la loi quelque chose en plus, quelque chose de plus grand que l’aspect purement législatif.
Quelque chose qui lui donne de l’ampleur, qui la fait changer de dimension.
Et c’est cela qui lui donne du sens.
Le terme utilisé en grec, le verbe « accomplir », veut aussi dire « féconder ».
Jésus ne va pas balayer les écrits qui fondent l’identité du peuple hébreu et qui définissent ses rapports avec Dieu, mais il va prendre appui sur eux pour faire naître un nouveau sens.

Jésus est celui qui désinhibe la loi, qui la rend vivante, qui la féconde.
Quand je dis « désinhibe », je ne veux pas dire qu’avec Jésus on peut faire tout ce que l’on veut !
Bien au contraire !
La loi c’est la base mais il ne suffit pas de suivre la loi à la lettre sans réfléchir.
Il faut réfléchir, il faut s’approprier la loi pour y saisir toute la volonté de Dieu et donc lui donner du sens.
Appliquer la loi à la lettre sans lui donner du sens, c’est se laisser enfermer dans un cadre purement législatif et formel, un cadre qui conduit à la mort.
Pour donner du sens à la loi, il faut qu’elle nous imprègne totalement, jusqu’à ce que notre personne s’efface devant elle.
C’est dans notre effacement que l’on peut saisir quel est le chemin que Dieu veut pour nous.
C’est ainsi que surgit notre justice pour être partie prenante de l’accomplissement de la volonté de Dieu.
La loi ne peut jamais être le lieu de notre propre accomplissement.

Regardons l’exemple que Matthieu met dans la bouche de Jésus :
« Si quand tu vas au culte rendre grâce à Dieu, tu te souviens que quelqu’un a une raison de t’en vouloir, alors va faire la paix avec lui, ou avec elle, avant de revenir au temple ».
Porter une offrande à l’autel, rendre grâce à Dieu, aller au temple, et ne tuer personne, tout cela est très bien.
C’est la partie « obéir à la loi ». Et il ne faut surtout pas s’en priver mais il ne faut pas s’y enfermer car la volonté de Dieu a un versant supplémentaire, une dimension bien plus importante.

Frères et sœurs, nous n’entrerons pas seuls dans le Royaume des cieux, sans nos frères et nos sœurs.
Quand je me présente devant Dieu, il n’y a pas que moi et Dieu dans un face à face.
Quand je suis devant Dieu, je suis avant tout devant mon frère ou devant ma sœur.
Je porte devant Dieu tous les êtres humains qu’il a créés.
Je ne peux pas les laisser derrière quand je me présente à Dieu.
Il ne me suffit pas de ne pas les avoir tués. Encore faut-il être réconciliés avec eux tous.

Nous n’entrerons pas seuls dans le Royaume des cieux.
Le seuil du Royaume des cieux est plein de solitaires qui respectent les lois, des légalistes obsédés du commandement, du code et du dogme.
Mais Jésus ne nous demande pas seulement d’être de bons applicateurs de la loi, il nous demande de nous impliquer personnellement dans la justice.
De la vivre, de la penser.
La justice, ou la volonté de Dieu, se vit autrement qu’en appliquant simplement la loi.
Jésus nous demande d’aller au-delà de la loi, de la rendre vivante et féconde.
La justice, ou la volonté de Dieu, se vivent en se réconciliant avec nos proches, notre conjoint, nos enfants, nos parents, notre famille, nos cousins, nos amis, nos voisins, et aussi avec les moins proches.

Nous n’entrerons pas seuls dans le Royaume des cieux.
La justice, ou la volonté de Dieu se vivent en s’engageant dans le monde, dans la vie quotidienne, en agissant concrètement.
Ne soyez pas légalistes, soyez loyaux.
Nous ne pouvons pas appliquer la loi, prier même, et en même temps nous détourner de notre voisin.

Nous n’entrerons pas seul dans le Royaume des cieux.
Nous y entrerons quand nous pourrons présenter tous nos frères et sœurs devant Dieu, la tête haute.
Nous y entrerons quand nos frères et nos sœurs, nous présenterons devant Dieu la tête haute et fiers de nous.
Je suis sûre que la plupart d’entre nous n’ont jamais tué personne et pourtant est-ce que nous nous sentons dans le Royaume de Dieu ?
Sommes-nous dans cet état d’accomplissement et de cohérence avec nos frères et nos sœurs dont on peut penser qu’il est le propre de ceux qui sont dans le Royaume des cieux ?
Est-ce que nous sentons pleinement heureux ?

Le mode d’emploi, il faut le lire certes, mais certainement pas s’y arrêter.
Ne pas aller contre, évidemment, mais l’accomplir en lui donnant du sens.
Parce que la justice de Dieu, c’est plus que la loi.
La loi seule est paralysante, la volonté de Dieu est fécondante.

Frères et sœurs nous n’entrerons pas seuls dans le Royaume des cieux.

Amen

Plaisance — Pasteure Marie-Pierre Cournot

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