Conversion controversée

Luc 14.15-24

Écouter la prédication

« Dieu vous invite ! »

Chers amis,

Bien étrange texte que celui de ce matin, qui a fait couler beaucoup d’encre et surtout a donné caution à beaucoup d’horreurs !

L’histoire de l’interprétation biblique nous montre que de tout temps on a considéré que l’homme qui donne un grand dîner représente Dieu. 

Dieu prépare donc chez lui, dans son royaume, un grand banquet auquel il nous invite largement à venir participer. 

Cette invitation au grand banquet, c’est une invitation à entrer dans le monde de Dieu, ou plutôt à faire entrer Dieu dans notre vie, à voir la vie, les choses et les êtres humains à travers sa vision du monde, une vision qui se fonde dans l’amour comme Jésus nous le rappelle sans cesse.

C’est étonnant de voir que pour Jésus, le fait de faire entrer Dieu dans notre vie est symbolisé par le fait de se retrouver ensemble, nombreux pour partager de la nourriture.

Dans l’Islam et le judaïsme, la fidélité à Dieu s’inscrit beaucoup dans les prescriptions alimentaires mais le christianisme n’a pas gardé beaucoup de traces alimentaires de cette relation à Dieu et encore moins le protestantisme. 

Pour certains chrétiens, il reste peut-être le poisson du vendredi (même si à l’origine cette coutume n’a aucune base biblique ni religieuse) et le jeûne du Carême. 

Et bien sûr la Sainte-Cène, qui reste le grand repas auquel Dieu nous invite, en disant : « Venez c’est déjà prêt ». 

Donc, Dieu prépare un grand repas et à l’heure dite les invités se défilent. 

Pour remplir sa table Dieu envoie chercher des invités improbables. 

Mais cela ne suffit pas et Dieu a donc cette phrase terrible : « Contrains les gens à entrer, afin que ma maison soit remplie ». 

Je dis terrible parce que déjà Sait-Augustin au tournant du 5e siècle voyait dans ce « contrains les gens à entrer » une invitation divine à convertir les gens par la force. 

Et que cette interprétation a eu beaucoup de succès pendant plus d’une dizaine de siècles, elle a justifié théologiquement toutes les croisades et guerres de religion !

Je n’ai pas de solution miracle pour interpréter ces terrifiants mots de Luc qui ne se retrouvent d’ailleurs pas dans les trois autres évangiles.

De nos jours, on met généralement en avant le sens de « insister de façon pressante pour que les gens entrent ».

Oui, certainement, une partie de ces gens n’imaginaient pas un instant pouvoir participer à la vie avec Dieu. 

Alors il faut les convaincre qu’ils y ont droit, que tout le monde est invité. 

Je pourrais aussi partager avec vous mon étonnement de voir que le verbe grec que l’on traduit par « contraindre » et qui veut effectivement dire « forcer quelqu’un à faire quelque chose », à aussi un lien avec le fait d’appartenir à la même famille, plus exactement d’être parent par le sang. 

Cela a à voir avec le fait que celui qui est parent par le sang, c’est celui qui est obligé d’accepter les charges d’un héritage. 

Peut-être que dans ce « Contrains les gens à entrer » on trouve la trace du lien de parenté qui nous unit à Dieu, ce lien de filiation indéfectible, auquel nous ne pouvons pas nous opposer et qui est à la base de l’invitation que Dieu nous fait. 

Beaucoup se sont opposés avec énergie à cette théorie que Dieu nous demande de convertir les gens de force pour remplir son Royaume, l’un d’entre eux est Pierre Bayle, grand penseur de la fin du 17e siècle. 

Il soutient que cela ne sert à rien de forcer quelqu’un à se convertir car on peut toujours obliger quelqu’un à faire ou à dire quelque chose mais pas à le penser, et que les conversions obtenues par la contrainte et la violence ne peuvent pas être sincères. 

Il sait de quoi il parle : il est né protestant au 17e siècle en France, son père et son frère sont pasteurs, il s’est lui-même spontanément converti au catholicisme, puis reconverti au protestantisme quelque mois après.

A la révocation de l’Édit de Nantes il est obligé de fuir aux Pays-Bas mais son frère n’aura pas cette chance et mourra en prison, sa grande faute étant d’être pasteur et d’avoir voulu le rester. 

Dans ce contexte, Bayle développe tout un argumentaire pour soutenir que ce qui est différent de soi n’est pas forcément moins bien. 

Il dit que l’on peut être un très bon citoyen observant parfaitement les lois et respectant les bonnes mœurs tout n’en étant pas catholique, c’est-à-dire, dans cette France du 17e siècle, en ne suivant pas la religion de tout le monde, de tout temps, en étant différent.  

Il élabore ainsi le concept moderne de tolérance. 

Je crois que c’est exactement ce dont Jésus nous parler dans cette parabole du grand festin. 

L’invitation à entrer dans le monde de Dieu est universelle, elle concerne les habitants de la ville (« va vite dans les rues de la ville »), comme ceux de la campagne (« va pas les chemins, le long des haies »), les riches (il y en a un qui vient d’acheter un champ, un autre une dizaine de bœufs) comme les pauvres, les jeunes comme les vieux, les vaillants comme les infirmes. 

Il n’y a aucune raison qui pourrait faire que nous ne nous croyons pas invités, ni aucune raison qui pourrait faire que nous pensions que telle ou telle personne ne l’est pas. 

Vous remarquerez que tout le monde est invité, au sens propre, sans rien en échange, c’est gratuit.

Pas besoin de payer.

On vient avec les mains vides, on n’a rien besoin de préparer ni rien besoin d’apporter puisque comme nous dit Dieu : « Venez, c’est déjà prêt. »

Dieu s’occupe de tout.

Pas besoin non plus de s’inscrire à l’avance, ni d’aucun prérequis, pas besoin de montrer patte blanche, ni de fournir son pédigrée ou son carnet de bonnes actions.

Dans une société où l’on pensait que les maladies et les infirmités étaient une punition pour des fautes ou des mauvais comportements, inviter les estropiés, les malades et les infirmes, ce n’est pas inviter les plus fragiles, mais c’est faire entrer chez soi les plus viles et les plus condamnables des personnes. 

On comprend mieux alors qu’il y ait besoin d’insister lourdement pour que nous allions à cette fête : nous n’avons peut-être pas vraiment envie de croiser les autres invités. 

Il y a donc ceux qui se décommandent !

La première chose à noter, c’est qu’ils se décommandent tous les trois pour une raison qui me parait valable, pas pour faire la fête ou faire la sieste, ni parce qu’il n’ont pas envie.

Leur excuse, c’est d’aller travailler, de s’occuper leurs biens récemment acquis ou de se marier !

À eux trois, ils se préoccupent de leur avenir terrestre, de leur travail, de leur patrimoine et de leur famille, donc ils assurent leur vie et celle de leur descendance. 

Le problème ce n’est pas qu’ils aillent travailler ou se marier, je pense que Dieu nous y encourage plutôt, le problème c’est qu’ils pensent que grâce à cela ils n’ont pas besoin de répondre à l’invitation de Dieu. 

Ils pensent certainement que grâce à leur travail, à leurs biens ou à leur famille, ils vont être heureux et qu’ils n’ont pas besoin de ce que Dieu leur offre. 

C’est là qu’est leur erreur. 

Rien dans le travail, le patrimoine ou la famille n’est éternel. 

Bien sûr c’est nécessaire et cela procure beaucoup de joies et de bonheur !

Mais il y a autre chose de plus radical, de plus sûr et de plus éternel.

L’invitation de Dieu, elle, est comme une certitude hors du temps. 

« Tout est déjà prêt ». Un point c’est tout. 

Il y a dans cette affirmation une notion d’éternité. 

Et cette éternité, c’est maintenant : « Tout est déjà prêt ».

On peut aussi remarquer que ce verbe « contraindre » est également employé par l’homme qui va voir son champ pour s’excuser de son absence au repas : « J’ai acheté un champ et je suis contraint d’aller le voir, tiens-moi pour excusé ! ». 

Qu’est-ce qui contraint cet homme à aller voir son champ ?

Probablement le sentiment qu’il a que c’est le plus important pour lui, que sa place c’est d’être avec son champ. 

Il y a aussi de cela dans « contrains les gens à entrer » : cette invitation à entrer dans le monde de Dieu, à faire entrer Dieu dans notre vie, est ce qui a le plus d’importance pour nous. 

« Contrains les gens à entrer » : je ne crois pas qu’avec ces mots Jésus nous invite, ni même nous autorise, à convertir les gens de force. 

Peut-être par ses mots, nous rappelle-t-il que nous sommes tous des enfants de Dieu, qu’il n’est pas en notre pouvoir de refuser cette filiation. 

En tout cas, certainement, il nous dit que nous sommes tous invités à ce festin que Dieu nous a préparé, c’est à dire invités à être prêts à partager avec tous les autres cet héritage commun, à devenir des « con-vives », des personnes qui vivent ensemble. 

Dieu nous invite à accepter les autres dans leurs diversités, dans leurs faiblesses, dans leurs fautes même. 

Amen

Plaisance, dimanche 8 septembre 2019 — Pasteure Marie-Pierre Cournot

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