Dimanche 10 novembre 2019 – Plaisance – Prédication
Exode 3,1-6 ; Daniel 12,2-3 ; Luc 20,27-38
Marie-Pierre Cournot
Frères et sœurs, chers amis,
Pensez-vous que l’on ressuscite ?
Et sous quelle forme ?
Et à quel moment ? Juste après la mort ou à la fin des temps ?
Les Sadducéens qui ceux qui interrogent Jésus à ce sujet, représentent un des grands courants du judaïsme du temps de Jésus. Ils occupent des postes importants dans l’organisation et l’administration du Temple de Jérusalem.
C’est pourquoi ils disparaîtront après la destruction du temple par les Romains en 70. Les Sadducéens s’opposent souvent à un autre courant que sont les Pharisiens, en particulier ils ont des vues différentes sur l’après-mort.
La croyance en une vie après la mort n’est pas universelle ni aussi ancienne que l’humanité. Si elle est très présente dans la civilisation de l’ancienne Égypte, en Mésopotamie par contre, l’accès à une vie après la mort est réservé aux dieux.
C’est aussi le cas dans l’Antiquité grecque où seuls les dieux sont immortels.
Il faut attendre la période grecque classique, vers le 5e siècle avant notre ère, pour que se dessine l’idée que l’âme survit au corps.
Dans la quasi-totalité de l’Ancien Testament, il n’y a pas de trace d’une croyance en une vie après la mort. Les morts vont dans le shéol – le séjour des morts – où ils errent comme des ombres jusqu’à disparaître dans l’oubli. C’est dans un des livres les plus récents de l’Ancien Testament, le livre de Daniel, qu’est clairement exprimée l’idée d’une vie qui continuerait ou renaitrait après la mort. Il date probablement du 3e siècle avant notre ère, voire pour la partie qui nous concerne du 2e.
Des livres de la même époque qui n’ont pas été retenus pour faire partie de l’Ancien Testament protestant mais qui sont dans l’Ancien Testament catholique, ainsi que d’autres écrits propres à la littérature juive, confirment que cette croyance est apparue dans les tous derniers siècles avant notre ère.
L’idée de la résurrection individuelle y naît autour de la problématique des martyrs juifs morts jeunes en défendant leur foi. Leur vie, que l’on pressent parfaite, va-t-elle réellement s’arrêter avec cette mort injuste et prématurée ?
Dieu qui leur a donné cette vie, ne voudrait pas la prolonger ? C’est ainsi que la résurrection est réservée à certains qui ont eu une vie exemplaire.
Avançons d’un ou deux siècles et venons-en au temps de Jésus. Le principe même de la résurrection n’est pas encore admis par tous, la question est toujours débattue. Les Pharisiens sont des ardents défenseurs d’une vie après la mort alors que les Sadducéens n’y croient pas. Et même pour ceux qui croient à une résurrection après la mort, restent les intéressantes questions de savoir qui ressuscite ? Seuls ceux qui ont une vie parfaite ou tout le monde ?
Sous quelle forme ? Sous la forme d’un pur esprit ou avec un corps, et si corps il y a, lequel ? Quand ? Juste après la mort ou à la fin des temps dans le cadre d’une résurrection communautaire ? Vous voyez que la question n’a pas tellement avancé en une vingtaine de siècles …
On en est à peu près au même point.
Et c’est donc ça l’objet de la discussion qui nous occupe ce matin. Si cette femme ressuscite, comment ressuscite-t-elle ? Mariée avec lequel de ses sept maris ?
Cette hypothèse de la femme qui épouse l’un après l’autre sept frères, relève de la loi du lévirat, du grec levier qui veut dire beau-frère, et qui stipule que quand un homme meurt sans enfant, la veuve épouse le frère de son défunt mari et l’enfant né de cette union est réputé être celui du frère mort.
La réponse de Jésus s’articule en plusieurs points.
D’abord, fidèle à la croyance de son temps, il réaffirme que la résurrection (qu’il appelle l’accès à ce monde-là, par opposition à ce monde-ci qui est notre vie terrestre) est réservée à ceux qui en ont été jugés dignes.Ce monde-ci et ce monde-là n’oppose pas uniquement le monde terrestre et le monde de l’au-delà mais aussi le temps de la vie terrestre et celui, à venir, de l’après-mort.
Ensuite, une fois que l’on est ressuscité on n’est plus marié et l’on ne se marie pas. Le mariage est bien une œuvre humaine et terrestre et n’a plus cours dans le Royaume de Dieu.
À ce moment de son argumentation, Jésus utilise quatre comparaisons pour définir les ressuscités.
Premièrement, Jésus décrit la résurrection comme un état sur lequel la mort n’a pas de prise. La mort, autant que le mariage, ne concerne que les êtres humains vivants.
Deuxièmement, les ressuscités sont assimilés à des anges. Dans plusieurs textes du judaïsme ancien, les anges forment une armée céleste autour de Dieu. Ce sont des êtres immortels, plus ou moins divins, qui peuplent le monde de Dieu.
Jésus poursuit en décrivant ceux qui ont accès à la résurrection comme fils de Dieu, ce titre suprême habituellement réservé pour les rois et pour le Messie. Il est ici appliqué aux ressuscités pour dire leur proximité avec Dieu et leur participation à son économie.
Enfin, Jésus parle des ressuscités comme des « fils de la résurrection ». On voit bien dans ce portrait en quatre tableau, que les ressuscités sont dans un monde radicalement différent de la vie terrestre.
Une coupure nette apparaît entre la vie et la résurrection.
Il n’est absolument pas question d’être le même une fois ressuscité, pas question de ressusciter comme on a vécu. Le statut marital, puisque c’est notre exemple, ne se poursuit après la mort, il n’a pas cours dans la vie résurrectionnelle.
La résurrection ouvre la voie d’une autre vie, d’un autre monde.
Jésus poursuit en parlant des morts qui se réveillent, c’est à dire qui ressuscitent puisque le verbe ressusciter et le mot résurrection n’existent pas dans le Nouveau Testament.
Pour parler de ces notions, le grec utilise deux champ sémantiques, celui du réveil (se réveiller) et celui de l’élévation avec le verbe se relever.
L’allusion à l’épisode du buisson ardent que nous avons lu nous rappelle que Dieu se présente à Moïse sous forme de trois et même quatre dieux différents : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. »
À la suite de cette déclaration, Moïse se détourne car il a peur de diriger son regard vers Dieu et on le comprend !
Qui est ce Dieu unique qui est plusieurs dieux à la fois, celui du père, du fils et du petit-fils, Abraham, Isaac et Jacob ?
On pourrait comprendre que c’est un dieu qui n’est pas figé mais qui change en fonction des générations, un dieu de la vie.
Pourtant il se définit à Moïse comme le dieu de trois hommes morts depuis longtemps, Abraham, Isaac et Jacob !
Ce Dieu, qui tout au long de la Bible se présente comme un Dieu de la vie, ne peut être associé à trois morts, fussent-ils des personnalités grandioses !
C’est parce que, comme Luc nous le fait comprendre de la bouche de Jésus, les trois patriarches sont toujours vivants.
Nous voilà à la fin de l’argumentation de Jésus, et je ne suis pas sûre que les Sadducéens soient beaucoup plus avancés, et nous non plus.
Alors oui, nous savons que la femme au sept maris ne sera plus mariée dans la vie de résurrection parce que cette vie-là ne se mesure pas à l’aune des critère de cette vie-ci, c’est à dire de notre vie terrestre.
La résurrection nous offrira une vie qui n’a rien à voir avec la nôtre actuelle.
Une vie où nous seron plus affectés par la mort, d’accord, et où nous serons comme des anges.
La belle affaire, à aucun moment la Bible ne dit précisément ce que sont les anges, ni s’ils ont un corps humain, ni même un sexe !
Comparer les ressuscités à des anges ne donne en fait aucune précision !
Nous serons des enfants de Dieu, des enfants de la résurrection.
Cela reste bien mystérieux et c’est sûrement là l’objet de la réponse de Jésus.
La résurrection ouvre la voie d’une autre vie, d’un autre monde, qui nous sont et nous restent inconnus pour la raison même qu’ils sont « en Dieu ».
La résurrection relève du mystère de Dieu et malgré nos esprits modernes et cartésiens, nous butons indéfiniment sur ce mystère, témoin de ce que la résurrection a de divin.
Il faut consentir à respecter cette part de mystère divin.
C’est aussi le propre de notre vie de finitude, ne pas tout savoir ne pas tout comprendre.
Et comme Dieu, de nous recentrer sur notre vie non sur notre mort.
Amen