Dimanche 12 janvier 2020 – Plaisance – Prédication – Matthieu 3,13-17
Marie-Pierre Cournot
Nous assistons à un petit face à face entre Jean et Jésus, querelle de préséance : c’est moi qui me ferai baptiser par toi, non c’est moi par toi … Mais je n’en ferai rien, si je t’en prie … Toi le premier, mais non c’est toi …
Et puis Jésus a cette parole extraordinaire, il dit en s’adressant à Jean-Baptiste : « Laisse faire maintenant, car il convient qu’ainsi nous accomplissions toute justice. »
« Laisse faire maintenant ». Ἄφες ἄρτι,
Ἄφες en grec c’est le verbe ἀφίημι : qui veut dire laisser faire, laisser tomber, mais aussi pardonner.
Et ἄρτι, ça veut dire maintenant.
Et si nous laissions faire ?
Et si nous arrêtions de nous préoccuper, comme Jean, de qui doit faire quoi, de qui est le plus important, de qui doit donner et de qui doit recevoir ?
Si nous laissions tomber les protocoles, les idées préconçues.
On a tous une idée de comment devraient se dérouler les choses, en tout cas moi j’en ai … Et du coup souvent, on est déçu.
Alors, laissons faire.
Lâchons prise.
Pardonnons nous.
Maintenant.
Ἄφες ἄρτι, les amis !
Il ne s’agit pas de lâcher prise, en réaction au passé, en se disant que ce qu’on faisait ou ce qu’on pensait n’était pas bien, il s’agit de lâcher prise pour l’avenir, pour accomplir toute justice !
« qu’ainsi nous accomplissions toute justice. »
Expression grecque difficile à traduire.
Accomplir, ce n’est pas dans le sens de faire, de réaliser, mais dans celui de porter à son terme, de rendre complet.
Quant à la justice, cela regroupe deux concepts.
Le premier concept, c’est celui de se comporter justement, c’est-à-dire selon ce que Dieu attend de nous.
Et en ce sens, Dieu attend que nous lâchions nos certitudes et nos règles établies.
Il n’y a pas de bienséance humaine qui tienne devant Dieu, même pour la meilleure des causes.
Ces certitudes que nous avons sur comment doivent se dérouler les choses, et comment nous devons nous comporter, ce sont plutôt des remparts que nous mettons entre nous et Dieu.
Ces objectifs que nous nous fixons, c’est parce que certainement c’est plus simple pour nous de nous en fixer nous-mêmes.
Cela permet dans un sens de tenir éloignés ceux que Dieu nous propose.
Et pourtant même ces objectifs que nous nous fixons nous-mêmes, le plus souvent nous ne pouvons pas les atteindre.
En ce début d’année, c’est précisément le moment d’aligner les bonnes résolutions que probablement nous ne tiendrons pas.
Hier quelqu’un m’a montré une image à ce sujet qui m’a fait beaucoup rire parce qu’elle assez juste je crois, je vous la montre.
Cela peut nous occuper des années durant d’essayer de suivre les résolutions que l’on se fixe d’année en année en espérant chaque année que ce sera en fin celle où nous réussirons à tenir nos engagements.
En fait, Dieu ne nous demande pas de mettre la barre très haut, avec des résolutions ou des engagements de compète, il nous demande d’enlever de notre vie les barres et les obstacles à franchir, pour être entièrement disponibles pour lui.
Imaginer une vie devant vous, toute plate, où il n’y a plus d’obstacle à franchir.
En tout cas plus aucun que vous auriez mis vous-mêmes.
Lâchez prise !
Que de temps et d’énergie libérés que l’on peut du coup consacrer à Dieu et à sa justice.
La justice dont il est question, c’est aussi selon le deuxième concept, la justice de Dieu.
« Laisse faire maintenant, car il convient qu’ainsi nous accomplissions toute justice. »
Laisser faire, lâcher prise, permet à la justice de Dieu d’être pleinement réalisée, c’est à dire à sa présence de pleinement habiter notre vie et le monde.
Si nous pavons notre vie d’objectifs à remplir, il n’y a plus de place pour se tourner vers Dieu, et il n’y a plus de place pour que le royaume de Dieu se déploie.
Dieu ne demande pas autre chose que de se déployer dans notre vie.
Mais si nous cadenassons tout, nous aurons bien du mal à percevoir sa présence auprès de nous.
Lâcher prise cela multiplie les occasions de rencontrer Dieu.
Et c’est aussi cela, comme dans notre passage biblique, qui autorise le baptême.
A chaque fois que nous arrêtons de nous battre contre nous-mêmes, que nous arrêtons d’essayer encore et encore d’être meilleur, nous permettons à l’esprit de Dieu de descendre sur nous.
Et c’est là que nous pouvons entendre, en souvenir de notre baptême, la voix qui retentit des cieux et qui nous dit, comme il y a 2 000 ans, sur les bords du Jourdain en Galilée : « Tu es mon enfant bien aimé », et selon les traductions : « en toi je trouve toute ma joie » ou bien « c’est toi que j’ai choisi avec joie ».
Comment voulons-nous entendre ces paroles que Dieu nous adresse, si nous sommes assourdis par le brouhaha des règles à suivre, des objectifs à tenir ?
Car, n’en doutons pas, Dieu nous adresse cette parole.
À chacun de nous, son enfant qui le remplit de joie.
Cette irruption de Dieu, comme une colombe qui descendant des cieux subitement ouverts, c’est ce qui se passe à chaque baptême.
Pour ceux d’entre vous qui ont été baptisés, c’est ce qui s’est passé lors de votre baptême.
Mais le baptême ce n’est pas une fois pour toute, ce n’est pas un événement qui s’est passé et dont on est débarrassé.
Le baptême, c’est un peu comme une naissance : une fois qu’on est né, on n’est plus jamais comme avant d’être né.
Et tous les jours de notre vie, le fait d’être vivant nous rappelle que nous sommes nés.
Et tous les jours de notre vie, notre baptême se réactualise : si nous ne mettons pas trop d’obstacles entre Dieu et nous, nous pouvons l’entendre se réjouir de nous avoir comme enfant.
Mais peut-être certains d’entre vous ne sont pas baptisés.
Alors deux choses.
D’abord il n’y a pas d’âge pour le baptême, et vous pouvez tout à fait être baptisés à l’âge adulte.
Ensuite, Calvin, qui reprenait une idée de Saint Augustin, a dit que le baptême est un signe visible de la grâce invisible de Dieu.
C’est-à-dire, que le baptême ne change rien à la relation que Dieu a avec nous, mais il la met en lumière et la révèle à nos yeux et aux yeux de la communauté.
Demander le baptême, c’est dire : « oui je distingue la voix de Dieu qui me dit qu’il est heureux que je sois son enfant », comme il l’a fait ce jour-là au bord du Jourdain avec celui qu’il avait choisi pour le représenter pleinement sur terre.
Quand je dis « je distingue la voix de Dieu », je crois que parfois on l’entend clairement, à d’autres moments ce n’est plus qu’un petit souffle à peine audible, et d’autres fois encore il y a tellement de brouhaha dans notre vie que la voix de Dieu qui nous parle en devient inaudible.
On peut même avoir l’impression que Dieu n’est pas là pour nous, qu’il ne nous parle pas.
Mais il est là, frères et sœurs, sa voix s’adresse à nous et nous parle.
Pour l’entendre, il faut lâcher prise !
Comme le petit panda de la diapositive, ne perdons pas notre vie à essayer de la gagner par des moyens hasardeux !
Lâchons prise, c’est le meilleur moyen d’entendre Dieu.
Amen