L’infinie humanité de Dieu

Culte du 7 juin 2020

Prédication sur le livre de Jonas, par le Pasteure Marie-Pierre Cournot (en pdf)

Il y a quelques dimanches, nous avons eu la chance que Corinne Lanoir nous offre une prédication sur Jonas (ici). Corinne Lanoir est professeur d’Ancien Testament à l’Institut protestant de théologie. Elle avait lu et commenté le 1er chapitre de ce petit livre qui en contient quatre. Je vous propose de poursuivre aujourd’hui la lecture de l’histoire de Jonas.

Petit résumé des épisodes précédents. Le livre de Jonas commence ainsi :

Jonas 1,1-2
La parole du SEIGNEUR s’adressa à Jonas, fils d’Amittaï : « Lève-toi ! va à Ninive la grande ville et profère contre elle un oracle parce que la méchanceté de ses habitants est montée jusqu’à moi.  »

Jonas n’a aucune envie de faire ce que Dieu lui demande, donc au lieu d’aller à Ninive, ville de Mésopotamie, à l’est de la Palestine, il s’enfuit dans la direction opposée, en montant dans un bateau qui part en Méditerranée vers une ville ou une île appelée Tarsis. Mais le bateau doit affronter une terrible tempête.
Les matelots devinent tout de suite qu’il s’agit de la manifestation de la colère d’un dieu et prient chacun leur dieu de faire cesser la tempête, sans succès.
Ils consultent alors les sorts et découvrent que c’est Jonas le coupable, Jonas qui s’est endormi au fond de la cale du bateau et n’est pas au courant de la tempête. Ils le réveillent et Jonas se dénonce. Il leur demande de le jeter à l’eau : il n’y a, pense-t-il, que sa mort pour apaiser la colère de son dieu. Aussitôt dit aussitôt fait, Jonas est passé par-dessus-bord et la tempête se calme.
Les matelots prient et remercient Dieu. Quand je dis Dieu je veux dire le Dieu de Jonas. Les matelots se sont donc convertis.
Et Dieu, dans sa grande compassion, envoie un gros poisson pour récupérer Jonas pour qu’il ne se noie pas. Au bout de trois jours, le poisson vomit Jonas sur la terre ferme, et notre Jonas part affronter Ninive la méchante ville et lui annoncer qu’elle sera détruite.

Jonas 3,4-10
Jonas avait à peine marché une journée en proférant cet oracle : « Encore quarante jours et Ninive sera mise sens dessus dessous », que déjà ses habitants croyaient en Dieu. Ils proclamèrent un jeûne et se revêtirent de sacs, des grands jusqu’aux petits.
La nouvelle parvint au roi de Ninive. Il se leva de son trône, fit glisser sa robe royale, se couvrit d’un sac, s’assit sur de la cendre, proclama l’état d’alerte et fit annoncer dans Ninive : « Par décret du roi et de son gouvernement, interdiction est faite aux hommes et aux bêtes, au gros et au petit bétail, de goûter à quoi que ce soit ; interdiction est faite de paître et interdiction est faite de boire de l’eau.
Hommes et bêtes se couvriront de sacs, et ils invoqueront Dieu avec force. Chacun se convertira de son mauvais chemin et de la violence qui reste attachée à ses mains.
Qui sait ! peut-être Dieu se ravisera-t-il, reviendra-t-il sur sa décision et retirera-t-il sa menace ; ainsi nous ne périrons pas. »
Dieu vit leur réaction : ils revenaient de leur mauvais chemin. Aussi revint-il sur sa décision de leur faire le mal qu’il avait annoncé. Il ne le fit pas.

Décidément cette histoire de Jonas est celle des conversions express !
Les matelots se convertissent rien qu’en entendant la confession de Jonas et les ninivites se convertissent également en entendant Jonas ! La parole de Jonas est assurément une parole très puissante !
Pourtant rien ne semblait l’y prédisposer, Jonas, ce prophète dont le nom est celui d’un oiseau, en hébreu Jonas veut dire colombe.
Mais la colombe, c’est celle qui rapporta la preuve de la fin du déluge à Noé, réfugié dans son bateau. La fin du déluge, cela veut dire la fin de la colère de Dieu qui a cessé de vouloir anéantir l’humanité en la noyant.

Dans le livre de Jonas, Dieu veut anéantir une grande ville, puis devant son refus de lui servir d’intermédiaire il tente de faire chavirer le bateau de Jonas, enfin il le fait jeter à l’eau, avant de se raviser et de le sauver de la noyade.
Et puis, nous le lirons tout à l’heure, à la fin Dieu se ravisera aussi et ne détruira pas Ninive.
Il y a bien des liens entre l’histoire de Noé et celle de Jonas.
Corine Lanoir nous avait fait remarquer qu’il y a beaucoup de références dans le livre de Jonas à d’autres livres de l’Ancien Testament. Le livre de Jonas, qui a plutôt été mis par écrit tardivement dans l’histoire de la rédaction de l’Ancien Testament, se sert abondamment des textes déjà existants pour les inclure en les réinterprétant.
C’est un procédé très courant dans la Bible, c’est même presque son essence : proposer sans cesse une relecture, une réactualisation des textes plus anciens qui irriguent la réflexion et la foi des croyants. La Bible, cet ensemble fermé de textes reconnus et fixés depuis des siècles comme la base de la foi, pourrait ressembler à une vieille dame rigide, guindée, dont aucun des cheveux ou lacets de dentelle ne peut être déplacé ! Mais, et c’est ça qui est extraordinaire, il y a un mouvement incessant dans la Bible. Jamais il ne s’agit d’imposer une nouvelle conception en faisant table rase des anciennes. Tous les livres se parlent, se répondent, entretiennent entre eux un dialogue que notre lecture sans cesse nourrit et renouvelle.

Cette conversation ne s’arrêtent pas à l’Ancien Testament !
Notre colombe de Jonas, c’est aussi celle qui symbolise l’esprit de Dieu, comme sur les croix huguenotes, en référence au moment du baptême de Jésus quand les cieux s’ouvrent et qu’une colombe descend du ciel accompagnée d’une voix qui dit « tu es mon enfant et cela me comble de joie ».

Pour notre dimanche de reprise, faisons un petit Quizz biblique : qui est le personnage biblique inspiré de Jonas qui dort au fond de la cale d’un bateau, sourd à la tempête qui fait rage et va renverser le bateau, et que les matelots qui craignent pour leur vie doivent réveiller ?
Est-ce que cela vous évoque quelqu’un ?
C’est Jésus, sur le lac de Galilée dans l’épisode dit de la tempête apaisée.
Le récit de la tempête apaisée c’est l’occasion de montrer que la puissance de Dieu se révèle à travers Jésus, lui qui fera d’un mot s’apaiser l’eau et le vent.

Et ce récit s’appuie sur celui de Jonas, où la puissance de Dieu s’exprime à travers Jonas, bien malgré lui. Cette puissance qui fait se convertir, c’est-à-dire au sens propre, changer de direction. Exactement comme Jonas, lui qui voulant partir à l’ouest est ramené à l’est par l’entremise d’un poisson. Après les matelots, ce sont tous les habitants de Ninive qui se convertissent et même leur roi.

Ils se livrent alors à un cérémonial qui peut paraître bizarre : jeûner, se revêtir de sacs et s’asseoir sur la cendre. C’est en fait ce que l’on fait à l’époque quand on est en deuil ou en cas de grand bouleversement. Ici le bouleversement, la conversion, est si forte, que même les animaux sont conviés à le manifester.
Le roi de Ninive, saisit par la parole de Jonas, enlève sa robe d’apparat et quitte son trône pour d’asseoir à même le sol sur de la cendre. Dans ce dessaisissement de ses attributs de puissance, il laisse celle de Dieu agir. Dieu est-il lui-même saisi par se dessaisissement, il se converti aussi, change de direction,  change d’avis et fait le contraire de ce qu’il avait dit.

« Dieu vit leur réaction : ils revenaient de leur mauvais chemin. Aussi revint-il sur sa décision de leur faire le mal qu’il avait annoncé. Il ne le fit pas. »

Cette histoire fait voler en éclat la représentation d’un Dieu de l’Ancien Testament puissant, vengeur et guerrier. On a ici, un Dieu versatile, influençable et qui ne tient pas ses promesses.
Ciel ! Est-ce que ce Dieu-là serait un peu humain ? Est-ce que l’on n’a pas ici le portrait d’un Dieu qui sait se faire humain pour être au plus près de ses créatures, pour les rejoindre dans leur péché, les accompagner dans leurs faiblesses et les aimer malgré tout ?

Mais c’était sans compter sur l’obstination de Jonas !

Jonas 3,10 et 4,1-11
Dieu vit leur réaction : ils revenaient de leur mauvais chemin. Aussi revint-il sur sa décision de leur faire le mal qu’il avait annoncé. Il ne le fit pas.
Jonas le prit mal, très mal, et il se fâcha.
Il pria le SEIGNEUR et dit : « Ah ! SEIGNEUR ! n’est-ce pas précisément ce que je me disais quand je vivais sur mon terroir ? Voilà pourquoi je m’étais empressé de fuir à Tarsis. Je savais bien que tu es un Dieu bon et miséricordieux, lent à la colère et plein de bienveillance, et qui revient sur sa décision de faire du mal.
Maintenant, SEIGNEUR, je t’en prie, retire-moi la vie ; mieux vaut pour moi mourir que vivre ! »
« As-tu raison de te fâcher ? » lui dit le SEIGNEUR.
Jonas sortit et s’installa à l’est de la ville. Là, il se construisit une hutte et s’assit dessous, à l’ombre, en attendant de voir ce qui se passerait dans la ville.
Alors, le SEIGNEUR Dieu dépêcha une plante qui grandit au-dessus de Jonas de sorte qu’il y avait de l’ombre sur sa tête pour le tirer de sa mauvaise passe. Cette plante causa une grande joie à Jonas.
Le lendemain, à l’aurore, Dieu dépêcha un ver qui attaqua la plante ; elle creva.
Puis, quand le soleil se mit à briller, Dieu dépêcha un vent d’est cinglant, et le soleil tapa sur la tête de Jonas… Prêt à s’évanouir, Jonas demandait à mourir ; il disait : « Mieux vaut pour moi mourir que vivre.»
Alors Dieu lui dit : « As-tu raison de te fâcher à cause de cette plante ? » Jonas lui répondit : « Oui, j’ai raison de me fâcher à mort. »
Le SEIGNEUR lui dit : « Toi, tu as pitié de cette plante pour laquelle tu n’as pas peiné et que tu n’as pas fait croître ; fille d’une nuit, elle a disparu âgée d’une nuit.
Et moi, je n’aurais pas pitié de Ninive la grande ville où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne savent distinguer leur droite de leur gauche, et des bêtes sans nombre ! »

Jonas, lui, il n’en veut pas de ce Dieu bon et bienveillant, prêt à changer d’avis devant la moindre conversion. Il veut un Dieu sûr de lui, qui fait ce qu’il dit et qui ne renonce pas à faire le mal annoncé. En somme Jonas veut un Dieu solide, sur qui on peut compter. Un Dieu fort et méchant. Ça c’est un vrai Dieu, un Dieu rassurant, pense Jonas.
« Et puisque tu n’es pas ce Dieu-là, alors Dieu, fais-moi mourir ! » dit-il !
Trois fois dans ce récit Jonas veut mourir. La première fois sur le bateau quand il convainc les matelots de le jeter par-dessus bord, la 2e fois quand Dieu décide de ne pas détruire Ninive. La 3e quand Dieu a fait mourir la plante pour laquelle Jonas s’était pris d’amour. Il préfère mourir que vivre avec ce Dieu qu’il découvre proche des humains, proche de lui-même Jonas. Car Dieu n’abandonne pas Jonas, le prophète désobéissant. Il fait même preuve d’une grande obstination pour essayer de le ramener, sur le bon chemin d’abord, à la raison ensuite. Mais Jonas ne veut pas tourner la page et accepter cette nouveauté radicale d’un Dieu qui montre sa faiblesse.
Et d’une certaine façon, il n’a pas tort.

La seule façon de garantir cette nouveauté radicale, c’est de la définir par rapport à l’ancien. Quand les choses évoluent très progressivement, on ne se rend pas compte du changement, il n’y a rien d’ancien et rien de nouveau.
Ici on a un Dieu radicalement nouveau, celui que Jésus révélera et qui se manifeste déjà ici. Mais ce Dieu radicalement nouveau ne peut exister qu’à la lumière de l’autre, le méchant, le puissant, le lointain. C’est de celui-là dont Jonas ne veut pas se passer, dont il ne veut pas faire le deuil. Par ce que sans celui-là, celui-ci n’existe pas.
Parce que le Dieu de Jésus Christ convoque le Dieu qui voulait détruire Ninive, celui qui finalement changera d’avis et restera au plus près de Jonas pour l’accompagner dans sa révolte et sa douleur.

Est-ce que nous aussi nous ne sommes pas accrochés, comme un parachutiste à son harnais, à ce Dieu juge qui pourrait être le garant d’un verdict que nous voudrions définitivement clément à notre égard. Le Dieu juge nous procure l’assurance facile d’un Dieu rédempteur.

Alors qu’un Dieu de bonté ! Frères et sœurs, qu’allons-nous faire d’un Dieu de bonté qui regarde les humains avec tendresse et compassion ?
La supposée faiblesse de ce Dieu-là nous interroge sur la nôtre. Difficile questionnement qu’à l’instar de Jonas nous préférons parfois fuir. D’autant que dans notre vie nous ne sommes pas avares de jugements et de certitudes dont nous asseyons la valeur ou la légitimité justement sur l’image d’un Dieu aux jugements sûrs et arrêtés. C’est tellement rassurant de penser que le méchant sera puni !
Mais l’infini de l’amour ouvre bien plus de possibilités que le définitif du jugement.

Dans cette histoire, tout le monde change, sauf Jonas qui reste arc-bouté sur ses certitudes. Il préfère mourir que changer.
Peut-être in fine va-t-il se laisser faire, et entrer dans ce travail de relecture de soi, de réécriture, d’ouverture à l’infinie humanité de Dieu auquel la Bible nous convie. Peut-être …

Amen

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