Culte du 6 décembre 2020 : Marc 1,1-8 par les pasteurs Marie-Pierre Cournot et Jean-François Breyne
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Marc 1,1-8 – Prédication du 6 décembre 2020 – Pasteurs Marie-Pierre Cournot et Jean-François Breyne
Il y aurait tellement à dire, rien que sur le mot évangile, « bonne nouvelle » : rappelons seulement qu’à l’origine, c’est un cri de victoire, de soulagement, lorsque les hommes rentraient sains et saufs d’un combat…
Mais laissons cela, et revenons au personnage de Jean, le baptiseur, qui fait figure de nouvel Elie, avec son uniforme de prophète, reprenant les codes vestimentaires d’Elie, et qui représente et récapitule ainsi symboliquement toute la première alliance.
Jean devient l’homme charnière entre un ancien, qu’il incarne, et un nouveau, qu’il annonce.
Jean le baptiste annonce, et il sera aussi une sorte de double inversé du Christ, inversé, car voilà qu’il dit une préséance : « ce n’est pas le monde nouveau qui vient s’inscrire dans le monde ancien, en une sorte de continuité, mais, dans une perspective inversée, c’est le monde ancien qui se subordonne, comme en un décor, au mouvement créé par le commencement de l’Évangile[1] ».
Et il dit cette préséance d’une manière toute à fait étonnante, avec l’image de la courroie de la sandale et un petit mot : un plus fort.
Le baptiste désigne Jésus par cette curieuse expression : « un plus fort que moi ».
Alors que le Christ sera aussi le plus faible de tous, crucifié sur la croix. Comme Jean, exécuté pour n’avoir pas flatté les puissants, pour avoir eu une parole libre et libératrice.
Je suis interpelé par cette annonce inaugurale d’un « plus fort » qui n’en sera pas un, mais qui se révélera à nous, tout au contraire, dans son extrême dénuement et dans son extrême faiblesse.
Jean se serait-il trompé ?
Le mot grec ici employé signifie bien : fort, au sens de puissant, mais aussi au sens de robuste, de vigoureux, de capable de …
Mais de quelle force s’agit-il donc ?
Je n’aime guère l’expression de « tout puissant » appliqué à Dieu, terme qui n’est pas biblique (sauf dans l’Apocalypse) et qui relève de la symbolique et de la terminologie impériale, alors « puissant », plus puissant que, pour Jésus ?
Et pourtant…
et si là, justement, se murmurait pour nous l’essentiel ?
Et si il y avait un « plus fort » que la violence, que la puissance aveugle, que la haine et que la mort ?
Le frère Cassingena-Trevedy parle, pour revisiter cette notion tellement ambiguë, d’un Dieu tout puissant, du « tout peut-être », de ce Dieu qui à la puissance de faire surgir l’impensable, l’incroyable, l’imprévisible : la vie du néant, la lumière de la ténèbre, la réconciliation de la haine.
Oui, il y a un « peut-être » qui nous attend.
Je cite : « on ne dira jamais assez la grâce du « peut-être », du peut-être de tout. Du peut-être de Dieu même. Non pas – non plus – « Dieu tout-puissant », mais Dieu Tout-Peut-être ».
Mais j’entends aussi derrière cette expression cette possibilité que « tout peut être », sans tiret, que « tout puisse être », d’un pouvoir être, par-delà la violence, la souffrance et la mort.
Mais recevons à notre récit : avec cette question qui pour moi surgit : qui doit aplanir les sentiers ?
On lit spontanément, en tout cas c’est ainsi que je l’ai fait longtemps, qu’il s’agit du Baptiste.
N’est-il pas, lui, le précurseur ?
Et pourtant…
« j’envoie mon messager devant ta face … » dit le texte…
La face de qui ?
Sinon la nôtre ?
Nous qui sommes les lecteurs et lectrices de la bonne nouvelle.
Et là, renversement :
c’est nous qui sommes convoqués à aplanir les chemins,
c’est nous qui sommes appelés à la responsabilité et à l’action…
C’est nous qui pouvons et devons devenir les artisans de ce royaume de l’esprit, dans ce « tout peut-être » aujourd’hui offert à toi, à moi, à chacune et chacun d’entre nous .
Marc nous apostrophe donc par cette bonne nouvelle : « Voici j’envoie mon messager devant ta face pour préparer ton chemin. »
S’il s’agit bien de notre chemin que le messager va préparer, ce chemin, c’est celui qu’inaugure le baptême.
Frères et sœurs, il n’est pas anodin que l’évangile de Marc, le plus ancien des quatre évangiles, s’ouvre par le baptême.
D’autres évangiles, celui de Matthieu et celui de Luc, s’ouvrent par des récits d’attente et de naissance, mais pas celui de Marc.
Pour Marc, l’origine c’est le baptême. Comme s’il n’y avait rien avant.
Tout au long de son évangile, Marc trace sa bonne nouvelle, du baptême à la résurrection.
Et pas n’importe quelle bonne nouvelle : celle de Jésus Christ fils de Dieu, ce sont les premiers mots de son évangile.
Jésus Christ fils de Dieu.
Ce titre en quelque sorte, résume toute l’œuvre de Marc.
Cette annonce extraordinaire, que Jésus Christ est le fils de Dieu, se déploie du baptême à la résurrection.
Le baptême, le premier, c’est celui que Jean le baptiste propose.
Certainement inspiré des bains juifs de purification rituelle, Jean le transforme un baptême de confession des péchés.
Plonger dans l’eau chargés de nos manquements, en ressortir lavés de notre culpabilité et pardonnés de nos insuffisances.
Déchargés de ces fardeaux et disponibles pour une nouvelle aventure avec Dieu.
Dans l’évangile de Marc, rien ne laisse supposer que le baptême administré par Jean est unique.
Baptême vient d’ailleurs d’un mot courant en grec qui signifie arroser et les plantes il faut les arroser souvent si on ne veut pas qu’elles sèchent.
Je pense que nous avons tous en magasin largement de quoi réfléchir à nos fragilités et prendre conscience de nos faiblesses pour participer à ce bain renouvelant plusieurs fois dans notre vie, d’autant que nous rechargeons les stocks de péché dès qu’ils sont épuisés.
Le dimanche au cours du culte, nous sommes plongés dans cette eau par dans une prière communautaire de confession du péché puis nous en sommes arrachés par des paroles de pardon.
À la suite de ce baptême proposé par Jean – un baptême d’eau -, viendra celui proposé par Jésus – un baptême de Saint-Esprit.
Ce nouveau baptême accomplira quelque chose de plus fort que celui proposé par Jean. Quelque chose de définitif.
L’eau nettoyait.
Le Saint-Esprit fait vivre.
Et si aujourd’hui dans le baptême nous utilisons de l’eau, ce n’est qu’un symbole, qui dit la présence de Dieu, de son esprit.
Être arrosé de l’esprit-saint, c’est affirmer que Dieu nous fait grâce une fois pour toute, une fois pour toute notre vie, une fois pour toute notre mort.
C’est croire que nous sommes toujours des êtres fragiles, faibles, incapables de maintenir de façon sûre et solide un lien vivant avec Dieu, mais que nous sommes des êtres pleins de grâce, de cette grâce divine par laquelle Dieu nous reconnaît.
De cette grâce par laquelle il nous envoie son messager, son ange d’après le texte grec : Jésus qui sera le Christ pour nous, pour nous dire cette disponibilité de Dieu à notre égard.
Cette fidélité qui ne peut être prise en défaut et qui s’incarne pour nous dans un homme, Jésus qui devient le Christ, le messie attendu.
Il est porteur du message de Dieu : « mon amour est le moteur pour vous d’un changement radical ».
Et pas seulement il y a 2000 ans, là maintenant dans ma vie, ce changement prend corps.
Un changement d’abord dans la reconnaissance de la diversité.
Diversité des êtres humains que plus rien ne doit enfermer, surtout pas des règles et des codes sociaux, puisque ce qui les rassemble, être des enfants de Dieu, est bien plus fort que ce qui peut les séparer.
Mais aussi une invitation, ou plus exactement une convocation, à passer d’une religion d’obéissance à une expérience de foi.
Parce que la conscience que Dieu a de nous ne peut se décliner uniquement par l’obéissance à une série interminable de lois.
On ne peut réduire l’impact de Dieu dans notre vie à une sujétion à des règles, fussent-elles indispensables.
Mais ma relation à Dieu est bien plus que cela, infiniment plus que cela.
Elle est ouverture. La fidélité de Dieu ouvre pour moi un chemin de toutes les possibilités.
Cette ouverture je la discerne parfois à peine, d’autre fois elle est comme une fougue qui m’aspire.
C’est une base solide sur laquelle peut se construire une vie : c’est bien une très bonne nouvelle.
Je comprends que Marc ait voulu attaquer son évangile ainsi.
On a souvent pensé au cours des siècles et on le pense encore, que pour être baptisé il faut avoir suivi un enseignement.
Autrefois les baptistères étaient à l’entrée des édifices religieux pour que les personnes non encore baptisées n’aient pas à pénétrer plus avant.
Mais non. Le baptême n’est pas un aboutissement, c’est le début d’un chemin qui se construit sur une base solide, celle que Dieu apporte à l’équation.
Ce chemin que le Christ nous prépare.
On raconte, je ne sais pas si c’est vrai, que Luther avait gravé sur sa table de travail la phrase « Je suis baptisé ».
Quand il était désespéré ou chancelant dans ses convictions, il regardait cette phrase pour se donner du courage !
Certainement pas pour se conforter avec l’idée que baptisé, il était d’une certaine valeur.
Ni que baptisé, il se devait d’avoir une conduite exemplaire.
Ni même que baptisé, il appartenait à une église.
Mais pour se souvenir que le jour de son baptême s’était incarnée en lui, petit bébé ignorant, la bonne nouvelle que Jésus Christ est le fils de Dieu et que cette bonne nouvelle le suivait pas à pas chaque jour sans faillir.
Et pour se souvenir aussi que le jour de son baptême c’est chaque jour, c’est tous les matins que nous sommes baptisés, puisque cette bonne nouvelle n’a pas de fin, elle ne vieillit jamais, elle est pour nous « nouvelle » à chaque instant.
Je ne vous propose pas de graver sur votre table « je suis baptisé », d’autant que certains ne le sont peut-être pas.
Mais de graver dans votre cœur que Dieu est descendu dans un homme pour vous prouver qu’il est près de vous, malgré tout.
Que sa confiance en vous est toujours renouvelée, baptisé ou pas.
Et que cela peut changer votre vie.
Amen
[1] D’après Rohmer et Vouga, Jean Baptiste, aux sources, Labot et Fides, p. 19.