Culte 11 avril : Traverser Jésus et voir au-delà de lui

Culte du 11 avril 2021

Texte biblique : Jean 20,19-31

Prédication par la pasteure Marie-Pierre Cournot :
Ce sont les derniers versets de l’évangile de Jean. Comme dimanche dernier dans l’évangile de Marc, il y a dans l’évangile de Jean, une autre fin. Un chapitre 21 qui a, d’après les spécialistes, été rajouté après la mise par écrit de l’évangile, par des membres de l’école fondée par Jean.

Derniers versets de l’évangile de Marc, derniers versets de l’évangile de Jean. L’époque serait-elle aux fins ?
Serions-nous en train de buter sur un clap de fin, en tout cas sur la fin d’un récit, d’une histoire ?
Serions-nous, en équilibre instable sur une étroite ligne de crête, prêts à tomber d’un côté vers les souvenirs, ou de l’autre vers l’inconnu et l’incertain ? Vers l’impensable peut-être ?
Certainement après Pâques les disciples ont vécu une situation semblable.

Ce constat, que peut-être vous partagez, qu’en tout cas j’ai entendu de la bouche de mes enfants : nous n’avons plus que nos souvenirs.
Depuis un an, disent-ils, on ne vit plus rien. Pour se sentir vivant, on ne peut que faire appel à notre stock de souvenirs antérieurs.
On voudrait aller retrouver des amis, faire la fête, aller au cinéma, on en est quitte pour repasser dans nos têtes les dernières fois où c’est arrivé.

Pire, on ne se fabrique pas de nouveaux souvenirs.
Plus tard, il y aura un trou dans le livre de nos mémoires, cette période où on n’y aura plus gravé de joyeux récits, où on n’aura pas pu s’évader dans des occasions festives et de retrouvailles, ni même simplement dans des projets.

Pire encore, à la place, il y aura comme une petite cicatrice.
Cette petite cicatrice témoin d’une frustration.
Je crois que c’est contre ces petites cicatrices déjà formées que nous butons et que nous risquons peut-être de rester arrêtés.

Jésus, lui, traverse tout, les murs et les portes fermées.
Dans notre récit, il rejoint les disciples qui se sont claquemurés dans une pièce.
Et une fois avec eux, il n’a rien de plus pressé que de les « envoyer ».
Il leur dit : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. »
Allez, dit-il, bougez, sortez, partez, ne restez pas là, paralysés, inutiles, derrière ces murs et ces portes fermées.

Et pour initier cet élan, il envoie son souffle sur les disciples, ou plutôt à travers les disciples pour toucher toutes les personnes vers qui il les envoie.

Ce souffle fait le lien entre Dieu le monde, puisque par ce souffle, le pardon que donneront les disciples, c’est Dieu qui le donnera.

La grâce de Dieu se fera flot, coulant, courant, d’une personne à l’autre, s’immisçant dans les interstices humains, se frayant un passage entre tous les obstacles, continuant sa course dans un mouvement éternel pour nous toucher tous et toutes.

Thomas, lui, veut s’arrêter.
Pas de blagues, les amis, pas d’histoires invraisemblables de traversées, de souffle.
Thomas veut du concret, du solide.
Je reconnais bien là un esprit cartésien qui pourrait être le mien.
Pour du concret, ce qu’il réclame est bien concret, palpable même pourrait-on dire : mettre son doigt et enfoncer sa main dans les blessures de Jésus.

Et où pense-t-il aller comme ça, Thomas ?
Jusqu’où pense-t-il s’enfoncer ?
Pas très loin, c’est clair.
L’empreinte d’un clou, fusse-t-il un long clou, ce n’est jamais que quelques centimètres.
Et la marque d’une lance dans un flanc, je ne sais pas, peut-être vingt centimètres, grand maximum.

Voilà tout le voyage que veut faire Thomas.
Voilà son aspiration, son espérance : s’enfoncer de quelques centimètres dans le sang et les os.
Et puis quoi ?
Et puis rien.
Il n’y a rien au fond de ces trous.
Thomas sera seul, enfermé dans ses blessures de mort, sans issue.

Ah mais me direz-vous, ce ne sont pas n’importe quelles blessures, ce sont celles de Jésus ! Certes.
Thomas sera donc enfermé en Jésus.

L’histoire a retenu de ce récit le comportement de Thomas puisqu’une expression lui est même dédiée : « Je suis comme Saint Thomas je ne crois que ce que je vois ! ». C’est très injuste puisque les autres disciples font exactement pareil, ils ne croient que ce qu’ils voient.
Je relis quelques verstes du texte : « Jésus vint ; debout au milieu d’eux [les disciples], il leur dit : Que la paix soit avec vous ! Quand il eut dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent de voir le Seigneur. »
Ce n’est que quand ils ont vu les marques sur le corps de Jésus qu’ils le reconnaissent. Ils sont tout entiers tournées vers Jésus, Jésus est leur objectif, leur horizon.
Alors que grâce à Jésus ils pourraient être entièrement tournés les uns vers les autres ou même vers d’autres personnes dehors, au lieu de s’en tenir éloignés, protégés par des portes bien fermées, paralysés par l’idée qu’ils se font de Jésus.

Jésus a passé sa vie à essayer de nous emmener au-delà de lui.
A nous dire de ne pas nous arrêter à ses miracles, il répétait sans cesse qu’il ne voulait pas qu’on en parle pour que ses miracles ne prennent pas le devant de la scène parce que, en réalité, ce n’était pas le plus important.
Il a passé sa vie à nous dire qu’à travers lui c’était la Parole de Dieu qui s’exprimait pour nous.
Qu’il n’était pas un but mais un chemin.
D’ailleurs il a dit « je suis le chemin », c’est à un autre endroit dans l’évangile de Jean (Jn 14,6).

Jésus n’est pas un but où l’on viendrait buter justement, comme Thomas au fond des blessures.
Jésus nous dit aussi dans ce même évangile de Jean qu’il est la porte (Jn 10,7-9).
Et on ne peut pas rester bien longtemps dans un encadrement de porte ! A part de très rare exceptions, comme lors des tremblements de terre, rester dans un encadrement de porte, nous empêche de bouger, de vivre.
C’est stérile en fait.
Sans parler du fait que l’on bloque tout le monde, que personne ne peut plus passer.

Les portes, c’est comme les chemins, c’est fait pour y circuler, pour les franchir.
Le souffle de Jésus nous envoie et nous disperse loin de lui. Un peu comme quand on souffle sur des miettes ou sur de la poussière pour qu’elles aillent vivre leur vie plus loin !


Ne gardons pas notre vue et nos espérances coincées en Jésus.
Une vie s’ouvre à nous, si nous détachons nos yeux de Jésus pour voir le monde qu’il nous révèle.
Il nous ouvre l’accès à un autre monde, à une vie nouvelle et différente.
Et elle commence après Jésus, quand on l’a dépassé pour élargir notre propre horizon et voir ce qu’il y a juste à côté de nous.

Christian Bobin, cet écrivain philosophe poète et malgré tout théologien, le dit très bien quand il dit que Jésus, qu’il appelle « l’homme qui marche », « s’épuise à nous dire : ne me regardez pas, moi. Regardez le premier venu, et ça suffira, et ça devrait suffire. »[1]

Que notre regard, fixé sur Jésus, le traverse, le dépasse, pour se poser plus loin. Sur le premier venu.

Amen


[1] Christian Bobin, L’homme qui marche, Le temps qu’il fait, 1995, p. 11.

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