Culte du 25 avril 2021, prédication sur Jean 10,11-18 par la pasteure Marie-Pierre Cournot
Jean 10,11-18 :
C’est moi qui suis le bon berger. Le bon berger se défait de sa vie pour ses moutons. Quand il voit venir le loup, l’employé, celui qui n’est pas berger et pour qui il ne s’agit pas de ses propres moutons, s’enfuit en abandonnant les moutons. Et le loup s’en empare, il les disperse. C’est un employé : il n’a pas le souci des moutons.
C’est moi qui suis le bon berger. Je connais mes moutons, et mes moutons me connaissent, comme le Père me connaît et comme, moi, je connais le Père ; et je me défais de ma vie pour mes moutons.
J’ai encore d’autres moutons qui ne sont pas de cet enclos ; ceux-là aussi, il faut que je les amène ; ils entendront ma voix, et ils deviendront un seul troupeau, un seul berger.
Si le Père m’aime, c’est parce que, moi, je me défais de ma vie pour la reprendre. Personne ne me l’enlève, mais c’est moi qui m’en défais, de moi-même ; j’ai le pouvoir de m’en défaire et j’ai le pouvoir de la reprendre ; tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père.
Prédication :
Ah malheureuse comparaison ! Qui voudrait se comparer à un mouton ou être traité de mouton ?
L’image des moutons de nos jours est plutôt négative.
D’abord, il y a les moutons de Panurge. C’est une allusion à un épisode du Quart Livre[1] de Rabelais.
Rabelais a vécu dans la première moitié du 16e siècle, dans cette époque troublée de la Réforme dont il est proche par bien des points avant que n’éclate une violente polémique avec Calvin.
Le héros de Rabelais, Panurge, pour se venger d’un propriétaire de moutons avec qui il s’est embrouillé sur un bateau, jette un des moutons à l’eau. Tout le reste du troupeau suit, saute par-dessus bord et se noie.
Et le terme « mouton » a pris le sens d’une personne influençable, se laissant mener avec les autres sans réfléchir, facile à berner y compris jusqu’à des objectifs mettant sa sécurité en jeu.
Pas glorieux donc.
Pour beaucoup de personnes, le mouton s’est aussi celui du sacrifice.
Peut-être d’ailleurs influencé par cette image du mouton de Panurge qui court vers sa mort.
Et par l’ancien Testament où les sacrifices pratiqués au temple impliquent très souvent des moutons. En dehors des sacrifices pour des raisons particulières, deux moutons doivent être sacrifiés tous les jours sur l’autel du temple. Deux de plus à chaque sabbat. Sept pour le premier jour de chaque mois. Pour la fête de Pâque, sept moutons par jour pendant sept jours … Il y a aussi d’autres animaux, des bœufs, des boucs et beaucoup d’offrande végétales sous forme de farine et d’huile mais la quantité de moutons sacrifiés restent impressionnante !
Et puis il y a le mouton du repas de Pâque, dont le sang sert à marquer les portes pour éloigner le fléau destructeur de Dieu qui tue tous les premiers-nés.
Le mouton n’a pas une image très enviable.
Je crois donc que c’est important de dire que nous ne sommes pas des moutons et que c’est mal interpréter ce texte que de croire que Dieu attend de nous que nous soyons des moutons, des êtres faibles, qui obéissent sans réfléchir, qui suivent bêtement le troupeau même si cela leur fait du mal.
Voilà, c’est dit, l’objectif n’est pas d’être des moutons.
Et, par conséquent Jésus n’est pas un berger. D’ailleurs dans ce que nous connaissons de sa vie dans les évangiles, jamais il n’est rapporté qu’il a gardé des moutons. Il était entouré de pêcheurs, pas de bergers.
Ces précisions posées, que nous dit cette histoire ?
Dans l’évangile de Jean il n’y a pas de paraboles, et en quelque sorte, ce passage pourrait en remplir la fonction.
Dans la première partie, Jésus oppose son rôle de berger à celui des employés. L’employé, c’est en fait littéralement le mercenaire. Celui qui est payé pour faire un travail dans lequel il n’est pas personnellement investi. Celui dont la relation se monnaye avec de l’argent ou avec autre chose d’ailleurs.
Jésus pense probablement à des tas de personnes qui guident les êtres humains, comme des prophètes, prêtres, dieux, leaders ou chefs, qui sont motivés par des impératifs d’argent, en amasser le plus possible, comme les mercenaires de l’histoire, ou des impératifs de puissance et de reconnaissance comme peuvent l’être les dirigeants des peuples et des nations.
On ne peut pas leur faire confiance, ils sont opportunistes, ne sont intéressés que par eux-mêmes et privilégient leur propre intérêt.
C’est cela que Jésus dénonce ici, en opposition avec le berger, celui qui donne sa vie pour ses moutons.
Donner sa vie, ce n’est pas mourir, l’expression grecque en soi ne vas pas dans ce sens, c’est plutôt mettre sa vie à disposition pour ses moutons. Évidemment l’événement de la croix connu de l’auteur de l’évangile quand il écrit ces lignes et de nous quand nous les lisons, nous entraîne vers la compréhension que le berger Jésus meurt pour ses moutons.
Ce qui est important je crois, c’est que la relation de Jésus avec nous est sans contrepartie, uniquement basée sur le don qu’il fait de sa vie.
C’est la première caractéristique qui justifie que Jésus soit le bon berger, puisqu’on a vu qu’il y en avait des mauvais.
« Le bon berger se défait de sa vie pour ses moutons ».
En cela je trouve que la métaphore du berger est bien trouvée.
Si on pense au berger qui vit avec ses bêtes dans les alpages pendant la transhumance qui dure plusieurs mois, alors on peut dire que le berger consacre sa vie à son troupeau, qu’il lui donne sa vie. Il la reprend en hiver quand il redescend dans la vallée.
Entre Jésus et ses moutons, nul besoin de reconnaissance, puisqu’il y a déjà la connaissance mutuelle : « Je connais mes moutons et mes moutons me connaissent ». C’est la deuxième caractéristique qui fait qu’un berger est un bon berger.
Cette relation a double sens, désintéressée. Cette connaissance n’est pas enfermante, puisque Jésus a d’autres moutons ailleurs et eux aussi il sera leur guide et les conduira la où il conduit tout le troupeau.
Comme il n’y a qu’un seul bon berger, il n’y a qu’un seul troupeau. Même si tous les moutons ne sont pas au même endroit. A aucun moment Jésus ne veut que tous les fidèles, les croyants, soient regroupés dans une même Église et dans les mêmes pratiques. Ils ont tous légitimes, il les connait tous, ils reconnaissent tous sa voix.
l’Église du Christ est unie par son Seigneur mais plurielle par ses membres.
D’ailleurs tout dans ce passage articule amour et liberté.
Relisons deux versets : « Si le Père m’aime, c’est parce que, moi, je me défais de ma vie pour la reprendre. Personne ne me l’enlève, mais c’est moi qui m’en défais, de moi-même ; j’ai le pouvoir de m’en défaire et j’ai le pouvoir de la reprendre ; tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père. »
Le commandement n’est pas un ordre pour exécuter une tâche prescrite. Mais une voie ouverte pour la liberté.
Le commndement ne rend pas stérile, au contraire, il donne du pouvoir et la possibilité à la vie d’être vivante.
Derrière le fait que Jésus nous consacre sa vie, se dessine Dieu : « Je connais mes moutons, et mes moutons me connaissent, comme le Père me connaît et comme, moi, je connais le Père ; et je me défais de ma vie pour mes moutons. »
Le rôle de berger de Jésus est directement mis en relation avec Dieu. C’est cette proximité entre Jésus et Dieu qui permet la confiance réciproque entre Jésus et nous.
Jésus en lui-même ne nous serait d’aucun secours s’il n’était à ce point imprégné de Dieu qu’à travers lui c’est Dieu qui nous guide.
Pour terminer, je voudrais revenir sur ces fameux moutons que nous ne voulons pas être. N’y aurait-il pas quelque chose à apprendre de cette métaphore du troupeau ?
Il ne s’agit pas de souhaiter que les chrétiens soient des fidèles dociles qui suivent sans discuter les doctrines érigées par les spécialistes. Mais peut-être penser que les liens qui nous rapprochent sont semblables à ceux qui unissent les bêtes d’un troupeau.
Qu’est ce qui fait le troupeau ? C’est le berger.
Sans le berger, il n’y a qu’un agrégat de bêtes, peut-être heureuses d’être ensemble mais sans but.
Alors je suis allée voir du côté du théologien Dietrich Bonhoeffer.
Nous avons ces derniers temps travaillé et relu ce théologien ensemble, à l’occasion d’une soirée du cycle 3T « Théologie pour Toutes et Tous » présentée par mon collègue Jean-François Breyne, puis quotidiennement pendant la semaine qui nous menait à Pâques.
Un de ses livres, De la vie communautaire, traite justement de ce sujet. Bonhoeffer y affirme que l’existence d’une communauté visible est une grâce. Une communauté visible c’est un ensemble de personnes qui se retrouvent ensemble comme nous, contrairement à la communauté invisible qui est formée de tous les croyants où qu’ils soient.
C’est une grâce car, dit-il « à travers la présence d’un frère ou d’une sœur en la foi, le croyant peut louer le créateur, le Sauveur et le Rédempteur, Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit »[2].
La communauté chrétienne est une communauté en Jésus et par Jésus : si nous pouvons être frères et sœurs, c’est uniquement par Jésus et en Jésus. Jésus est le ciment de notre communauté : « Entre moi et mon prochain, il y a le Christ »[3] dit Bonhoeffer.
Il poursuit : Ce Christ nous transmet la Parole de Dieu, une parole qui nous est adressée de l’extérieur par Dieu lui-même. Elle nous oblige à nous tourner sans cesse vers l’extérieur d’où seul peut nous venir la grâce qui nous fait être.
Et celui ou celle que la Parole saisit ne peut que la redire à d’autres. Telle est la volonté de Dieu : nous sommes tenus de chercher et de trouver sa Parole dans le témoignage du frère ou de la sœur que Dieu met près de nous, en écoutant une parole humaine[4].
Et Bonhoeffer d’ajouter (c’est moi qui rajoute le langage inclusif) : « Mon frère, ma sœur, dans l’Église, c’est l’homme, la femme, que Jésus a sauvé, libéré de son péché et appelé, comme moi, à croire cette bonne nouvelle et à vivre éternellement. Ce qui est décisif ici, ce qui fonde vraiment notre communauté, ce n’est pas ce que nous pouvons être en nous-même, avec tout notre vie intérieure et toute notre piété, mais ce que nous sommes par la puissance de Jésus. C’est lui seul qui nous donne l’un à l’autre, mais il le fait réellement et totalement, pour le temps et pour l’éternité. »[5]
Amen
[1] Quart Livre, chap. 5, 6, 7,
[2] Dietrich Bonhoeffer, De la vie communautaire, Neuchâtel-Paris : Delachaux & Niestlé, 1947, p. 14.
[3] Ibid., p. 32.
[4] Ibid., p. 17.
[5] Ibid., p. 17.