Vidéo du culte du 17 octobre : Sacrifier Dieu !

Genèse 22,1-13.19 :
Après cela, Dieu mit Abraham à l’épreuve ; il lui dit : « Abraham ! » Il répondit : « Je suis là ! »
Dieu dit : « Prends ton fils, je te prie, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac ; va-t’en au pays de Moriya et là, offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je t’indiquerai. »
Abraham se leva de bon matin, sella son âne et prit avec lui deux serviteurs et Isaac, son fils. Il fendit du bois pour l’holocauste et se mit en route pour le lieu que Dieu lui avait indiqué.
Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, vit le lieu de loin. Abraham dit à ses serviteurs : « Vous, restez ici avec l’âne ; moi et le garçon, nous irons là-haut pour nous prosterner, puis nous reviendrons vers vous. »
Abraham prit le bois pour l’holocauste et le chargea sur Isaac, son fils, et il prit lui-même le feu et le couteau. Puis ils continuèrent à marcher ensemble, tous les deux. Alors Isaac dit à Abraham, son père : « Père ! » Il répondit : « Oui, mon fils ? » Isaac reprit : « Le feu et le bois sont là, mais où est l’animal pour l’holocauste ? »
Abraham répondit : « Que Dieu voie lui-même quel animal il aura pour holocauste, mon fils ! Et ils continuèrent à marcher ensemble, tous les deux. »
Lorsqu’ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait indiqué, Abraham y bâtit l’autel et disposa le bois. Il ligota Isaac, son fils, et le mit sur l’autel, par-dessus le bois. Puis Abraham tendit la main et prit le couteau pour immoler son fils.
Alors le messager du SEIGNEUR l’appela depuis le ciel, en disant : « Abraham ! Abraham ! » Il répondit : « Je suis là ! »
Il dit : « Ne porte pas la main sur le garçon et ne lui fais rien : je sais maintenant que tu crains Dieu et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton fils unique. »
Abraham leva les yeux et vit par-derrière un bélier retenu par les cornes dans un buisson ; alors Abraham alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils.
[…] Abraham revint vers ses serviteurs, puis ils s’en allèrent ensemble à Bersabée, car Abraham habitait à Bersabée.

Prédication par la pasteure Marie-Pierre Cournot :

Nous y voilà. On ne peut pas éternellement reculer devant ce texte, il faut bien l’affronter.
Et comme avec les monitrices de l’école biblique nous l’avons affronté ensemble pour le présenter aux enfants (c’est ce qu’elles font en ce moment), le moins que l’on pouvait faire nous adultes, c’est de nous y frotter aussi.

Ce récit dérange. De tous temps, il a dérangé.
Il n’y a qu’à voir les divers titres qu’on lui donne. « Le sacrifice d’Isaac », puisqu’Isaac va être sacrifié. « Le sacrifice d’Abraham », puisque c’est Abraham qui commet le sacrifice. Ce titre est une bonne façon de cacher que l’objet du sacrifice est son fils ! « L’abandon d’Isaac », Abraham est prêt à abandonner son fils, c’est toujours moins grave que d’être prêt à le tuer ! Et enfin dans la tradition juive « La ligature d’Isaac », d’après le verbe « ligoter » puisqu’il est dit qu’Abraham ligota son fils sur l’autel.

Comment imaginer que Dieu, notre Dieu, celui qui est un Dieu d’amour et de confiance, puisse proposer un marché aussi cruel, presque sadique, à l’un de ses enfants préférés.
Abraham a un statut à part, on peut bien dire qu’il est préféré. C’est lui que Dieu avait déjà appelé une première fois en lui demandant de quitter sa famille, il lui avait dit « Va vers le pays que je te ferai voir » pour en faire celui grâce auquel le peuple serait choisi et par lequel le pays serait donné.
Maintenant, il l’appelle une deuxième fois et lui dit « Va vers le pays de Moriya sur une montagne que je t’indiquerai ».
On sent bien que dans ce récit c’est l’élection d’Abraham qui est remise en jeu.
Abraham va-t-il être à la hauteur des attentes de Dieu, du dessein exceptionnel que Dieu a conçu pour lui ?

La tension dramatique est déjà forte quand survient l’horreur, il n’y a pas d’autre mot, l’horreur de l’injonction divine : « Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac, et offre-le en holocauste ».
Rappelons-nous qu’une holocauste dans l’Ancien Testament, c’est un des types de sacrifices que l’on offre à Dieu au temple, le sacrifice où on fait entièrement brûler ce que l’on offre, on ne garde pas une partie de la viande ou des plantes pour les manger.

Quel Dieu demande de tuer ses enfants ? Est-ce que le Dieu auquel vous croyez exige de ses fidèles ce genre de choses ?

De tous temps, donc, ce récit à dérangé. De tous temps on a proposé des explications pour le rendre moins effrayant.
On a dit que les termes hébreux utilisés pour holocauste ne voulaient pas dire qu’il fallait tuer Isaac. C’est pourtant bien l’expression qui est utilisée ailleurs pour signifier ce sacrifice.
On a dit, et c’est une des lectures les plus courantes, que ce récit était la façon que Dieu avait trouvée pour dénoncer les sacrifices humains et ordonner leur fin. C’est possible.
Mais est-ce que les sacrifices humains étaient courants dans le peuple hébreu du milieu du 1er millénaire avant notre ère au point qu’il ait fallu les interdire ?
Si l’on trouve quelques traces que cela ait pu arriver, en particulier dans un contexte de grande détresse, pour essayer d’obtenir la faveur divine quand il n’y a plus rien à faire, il ne semble pas en tout cas que cette pratique ait été ni systématisée ni répandue. Admettons tout de même qu’interdire les sacrifices humains soit l’objectif, très louable, de Dieu. Pourquoi alors cette mise en scène macabre ?
Et pourquoi organiser le récit autour de la confiance aveugle qu’Abraham fait à Dieu si ce n’est pas du tout cela qui est en jeu ?

En plus cette confiance aveugle que soit disant Dieu exigerait de nous, c’est celle qui sous-tend le discours d’une petite partie des antivaccins et anti-mesure sanitaire : « Nous avons mis notre confiance en Dieu, tout est entre ses mains, il est notre meilleure arme contre le virus, il nous sauvera ». J’en connais.

La confiance en Dieu n’empêche de réfléchir ni d’être pragmatique.
Je suis sûre que les mêmes extrémistes, car c’est bien d’extrémistes qu’il s’agit, regardent avant de traverser la rue. Je suis sûre qu’ils mangent, et même tous les jours, si leur conditions de vie le leur permettent.
Alors que si on remet entièrement sa vie à Dieu, au point d’aller jusqu’à attacher son fils et s’apprêter, couteau à la main, à lui trancher la gorge, je ne comprends pas pourquoi on doit se garder des voitures ni pourquoi même on a besoin de se nourrir soi-même, puisque Dieu pourvoit à tout.
Vous aurez compris que cette explication de la confiance aveugle exigée par Dieu ne me satisfait pas.

Il est une autre lecture très intéressante, reprise par Thomas Römer. Dans les années d’exil du peuple hébreu à Babylone, après la destruction de leur temple et la perte de tous leurs repères religieux et identitaires, Isaac représente le peuple hébreu sacrifié sur l’autel de l’assimilation à la culture babylonienne par un Dieu devenu incompréhensible auquel il faut faire confiance malgré tout.

Il en est encore une autre lecture qui me rejoint particulièrement dans ma conception du Dieu de l’Ancien comme du Nouveau Testament, ce Dieu qui aime ses enfants dans leurs faiblesses, qui se mouille pour les y rejoindre, qui y envoie son fils justement, jusqu’à le perdre – le sien, pas le nôtre !
Cette autre façon de lire ce récit, je l’ai découverte grâce à Albert de Pury, grand exégète suisse de l’Ancien Testament.
Il nous faut remonter de quelques chapitres dans le livre de la Genèse et regarder les récits précédents.
Au chapitre 20, Abraham et sa femme Sarah sont au pays du roi Abimélek. Abraham a peur que des hommes qui pourraient être attirés par Sarah, lui fassent du mal à lui pour pouvoir s’emparer d’elle. De peur qu’on ne lui fasse du mal à lui en tant que mari de Sarah, il préfère dire que c’est sa sœur comme ça qui veut pourra s’emparer d’elle sans avoir à lui faire du mal à lui. C’est d’ailleurs ce qui arrive, puisque le roi, pensant qu’elle est célibataire la prend dans son harem. Quelle courage et quelle grandeur d’âme de la part d’Abraham !!
Et cela ne s’arrête pas là, puisque Dieu pour punir le roi Abimélek d’avoir pris Sarah, rend stériles toutes les femmes de son peuple. La lâcheté d’Abraham met sa propre femme en péril, mais aussi tout un peuple.
Au chapitre suivant, quand Sarah exige que la concubine d’Abraham, Hagar, et leur fils, Ismaël, soient chassés au désert, il ne s’y oppose pas, les condamnant tous les deux à une mort certaine.
Ensuite, Abraham qui n’est plus à une faiblesse et une trahison près, se laisse imposer un contrat de vassalité par le roi Abimélek et lui donne son troupeau.

Abraham est donc loin de la figure du héros que l’on imagine. Il est faible, menteur et pitoyable. Dans notre récit, ce n’est pas tellement mieux. Il ment deux fois. D’abord quand il dit à ses serviteurs qu’après s’être prosterné avec Isaac sur la montagne il redescendra vers eux. Alors qu’il sait qu’Isaac ne redescendra pas.
Ensuite quand il répond à Isaac que Dieu fournira l’animal pour l’holocauste, alors qu’il sait que ce sera Isaac. En effet on ne peut pas imaginer qu’Abraham pense que Dieu plaisante, on ne peut pas penser qu’Abraham se dise «  Dieu me dit de tuer mon fils, mais il dit n’importe quoi, je ne crois pas un mot de ce qu’il dit ! ».

Frères et sœurs, Dieu ne demande pas que nous fassions des choses horribles. Par contre, il nous aime même quand nous ne sommes pas des héros, comme Abraham, ce couard finalement peu recommandable.

Il y a une histoire qui circule sur Abraham. Sarah arrive un jour excédée devant Dieu. Elle lui dit : « écoute Dieu il faut que tu fasses quelque chose, ce n’est plus possible, Abraham ne fait que des bêtises. L’autre jour je l’ai laissé un instant seul avec notre fils Isaac et quand je suis rentrée, il avait essayé de le tuer ! »
Il va falloir toute l’abnégation de Dieu, toute la confiance de Dieu, pour que les mensonges d’Abraham se transforment finalement en vérité. Abraham redescendra bien avec Isaac et Dieu pourvoira à la bête du sacrifice.
Grâce à Dieu, Abraham sera transformé en quelqu’un de bien. Il sera délivré par Dieu de sa condition de faiblesse.

C’est la confiance que Dieu nous fait qui nous permet d’être des gens bien, qui transforme nos faiblesses, nos bassesses, nos déloyautés en amour du prochain. On peut compter sur Dieu.
Voilà ma proposition de lecture pour ce texte.

Différents titres, différentes lectures. Les multiples titres et analyses de ce récit essayent, depuis des siècles, de contourner ce qu’il a d’inacceptable.
Est-ce que ce nous ne sommes pas ainsi en train de faire Dieu à notre image ?
Pour reprendre l’analyse de Thomas Römer :
« Nous voulons un Dieu qui corresponde à l’idéal de l’homme éclairé, un Dieu qui soit juste, tolérant, etc … […] Un tel Dieu forgé selon l’idéal de l’homme politiquement correct, risque, de devenir une idole qui ne fait rien d’autre que de légitimer les aspirations humaines, si légitimes qu’elles soient »[1].
Si Dieu devait représenter l’idéal humain, alors Dieu changerait à chaque époque, à chaque génération, dans chaque culture.

Peut-on accepter de ne pas comprendre ce récit, de ne pas comprendre Dieu ? Que cela nous dépasse ?

Au final si j’avais à donner un titre à ce récit, je dirai le sacrifice de Dieu.
D’une part parce que je pense que Dieu y sacrifie un certains nombres de ses illusions au sujet des humains qu’il a créés.
Ensuite parce que nous aussi nous devons sacrifier l’envie que nous avons d’une image de Dieu correspondant à nos valeurs, et même purement sacrifier l’envie d’une quelconque image de Dieu.

Amen


[1] T. Römer, Dieu obscur, Labor et Fides : 1998, p. 65.

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