Introduction :
Nous allons nous intéresser à l’histoire de Joseph, l’un des douze fils de Jacob, lui-même fils d’Isaac, lui-même fils d’Abraham.
L’histoire de Joseph occupe pas moins de treize chapitres à la fin du livre de la Genèse et est traditionnellement appelée le Roman de Joseph. Nous n’allons pas lire les 13 chapitres, mais une partie du premier et une partie du dernier. Vous verrez qu’à un endroit du récit, les frères de Joseph le traitent de « maître rêveur » et parlent de ses rêves. C’est parce que Joseph leur avait raconté deux rêves qu’il avait fait et que ses frères les avaient interprétés comme des preuves que Joseph se sentaient supérieur à eux et voulaient les dominer.
Genèse chapitre 37, versets 3-4 et 17b-28 :
Jacob aimait Joseph plus que tous ses autres fils, parce que c’était un fils de sa vieillesse. Il lui avait fait une tunique multicolore. Ses frères virent que leur père l’aimait plus qu’eux tous, et ils se mirent à le détester. Ils ne pouvaient lui parler sans hostilité.
[…] Joseph poursuivit son chemin à la recherche de ses frères et les trouva à Dotân. Ils le virent de loin et, avant qu’il se soit approché d’eux, ils complotèrent de le faire mourir. Ils se dirent l’un à l’autre : « Voilà le maître rêveur qui arrive. Maintenant venez, tuons-le et jetons-le dans une citerne ; nous dirons qu’un animal féroce l’a dévoré, et nous verrons bien ce qu’il adviendra de ses rêves. »
Ruben entendit cela, et il le délivra de leur main. Il dit : « N’attentons pas à sa vie. »
Ruben leur dit : « Ne répandez pas de sang ; jetez-le dans cette citerne qui est dans le désert, et ne portez pas la main sur lui. » C’était pour le délivrer de leur main, afin de le ramener à son père.
Lorsque Joseph fut arrivé auprès de ses frères, ils le dépouillèrent de sa tunique, la tunique multicolore qu’il avait sur lui. Ils le prirent et le jetèrent dans la citerne. Cette citerne était vide : il n’y avait pas d’eau dedans.
Ils s’assirent ensuite pour manger. Levant les yeux, ils virent une caravane d’Ismaélites qui venait de Galaad ; leurs chameaux étaient chargés d’aromates, de baume et de ladanum qu’ils emportaient en Égypte.
Alors Juda dit à ses frères : « Quel profit y aurait-il à tuer notre frère et à couvrir son sang ? Venez, vendons-le plutôt aux Ismaélites et ne portons pas la main sur lui ; car il est notre frère, notre chair ! » Ses frères l’écoutèrent.
Des marchands madianites vinrent à passer ; ils tirèrent Joseph et le firent remonter de la citerne. Ils vendirent Joseph aux Ismaélites pour vingt pièces d’argent, et ceux-ci emmenèrent Joseph en Égypte.
Prédication 1, par la pasteure Marie-Pierre Cournot :
Joseph a donc onze frères. Si les enfants vous demandent à midi, l’air de rien, comment s’appellent les 12 fils de Jacob … vous direz :
– Avec sa première épouse Léa : Ruben, l’aîné (il a un rôle dans notre histoire), Siméon, Lévi, Juda (lui aussi on le retrouve ce matin et on le retrouvera plus loin dans la Bible entre autre parce qu’il est l’ancêtre d’un autre Joseph, le père de Jésus), Issachar, et Zabulon. Et aussi une fille, Dina.
– Avec sa première concubine : Dan et Nephtali.
– Avec sa deuxième concubine : Gad et Aser.
– Avec sa deuxième épouse Rachel, sa préférée : Joseph (le fameux) et Benjamin.
Jacob a un petit faible pour Joseph, l’avant dernier de ses enfants et le fils aîné de son épouse préférée. Joseph profite ouvertement de cette préférence, jusqu’à vouloir en user sur ses frères. Et les frères sont furieux et jaloux.
Ça arrive, ça, l’animosité et la jalousie dans les fratries.
Vouloir ce qu’on n’a pas, penser que cela nous est dû, que quelque chose nous a été enlevé.
Dans la famille de Joseph, la situation est déjà tendue à la génération au-dessus, entre les quatre femmes de Jacob. On dirait que cette situation difficile rejaillit sur les douze enfants.
Et puis il y a le prénom Joseph.
Joseph, cela veut dire « il ajoute ».
Quelques chapitres avant dans le livre de la Genèse, on nous raconte que Rachel, qui était stérile, a beaucoup prié Dieu pour qu’il lui donne un enfant. Ses prières sont finalement entendues, elle attend un enfant. À sa naissance, elle ne pense qu’à une chose, en avoir en second, que dieu lui en ajoute un autre. Et ce premier enfant, elle l’appelle donc Joseph, il ajoute. Comme si Joseph ne comptait pas lui-même en tant qu’enfant, comme s’il n’était là que comme avant-garde, pour annoncer le suivant.
Mais sûrement ses frères, pensent que c’est pour lui que Dieu en ajoute, qu’il en a « en plus ».
Pourquoi Jacob a-t-il offert une tunique multicolore à un seul de ses fils ?
D’après le texte hébreu, il s’agit d’une tunique ample et longue peu propice au travail des champs et réservée aux personnes de condition supérieure. Jacob veut par ce cadeau à la fois distinguer son fils parmi ses douze enfants, et le rapprocher de lui comme par un lien de tissu « multicolore » dit la traduction française, qui éclaterait aux yeux de tous.
Tout est en place pour que des conflits naissent entre les frères.
J’ai fait exprès de ne pas lire ce matin le récit des deux rêves de Joseph car, encore une fois, la question n’est pas de savoir qui a raison et qui a tort de se sentir supérieur ou opprimé.
Ce sentiment de jalousie ne s’embarrasse pas de la vérité, ni de la réalité.
Tout est interprété pour renforcer le sentiment destructeur, ce sentiment d’avoir quelque chose « en moins », au point de décider de commettre un meurtre, de tuer celui qui en a reçu « en plus ».
Grâce à l’intervention de Ruben et de Juda, il n’est finalement pas mis à mort.
Et après un flou du texte comme pour diluer la responsabilité de la fratrie (rôle des frères ? des Ismaélites ? des Madianites ?), Joseph est sorti de la citerne, vendu comme esclave et se retrouve en Égypte.
La suite du récit que nous ne lirons pas, est une véritable saga. Joseph est esclave chez le grand sommelier du Pharaon. Accusé à tort d’agression sexuelle par la femme du sommelier, il se retrouve en prison. Mais grâce à son talent d’interprète des rêves, il sort de prison et devient le grand intendant de toute l’Égypte, le numéro deux du Pharaon. Comme il a prédit sept années de récoltes fastueuses suivies de sept années de famine dans tout le monde connu, il est chargé par Pharaon d’organiser les réserves.
Quand la famine arrive en Israël, tout le monde se précipite en Égypte seul pays qui a des réserves suffisantes, et les frères de Joseph viennent, sans le reconnaître, quémander à manger auprès de lui.
Après bien des péripéties, les onze frères se retrouvent en Égypte chez Joseph, avec leur père Jacob. Émouvantes retrouvailles.
Joseph les nourrit et les installe tous en Égypte avec toute leur famille et leur descendance.
Le temps passe, heureux, et Jacob le père finit pas mourir de vieillesse.
Genèse chapitre 50, versets 15 à 26 :
Quand les frères de Joseph virent que leur père était mort, ils dirent : « Et si Joseph devenait notre adversaire et nous rendait tout le mal que nous lui avons fait ! ».
Alors ils firent dire à Joseph : « Ton père a donné cet ordre avant de mourir : “ Vous parlerez ainsi à Joseph :
‘S’il te plaît, pardonne la transgression de tes frères et leur péché, car ils t’ont fait du mal ! Je t’en prie, pardonne maintenant la transgression des serviteurs du Dieu de ton père !’ ” »
Joseph se mit à pleurer quand on lui dit cela. Ses frères eux-mêmes vinrent ; ils tombèrent à ses pieds et dirent : « Nous sommes tes serviteurs. »
Joseph leur dit : « N’ayez pas peur : suis-je à la place de Dieu ? Le mal que vous comptiez me faire, Dieu comptait en faire du bien, afin de faire ce qui arrive en ce jour, pour sauver la vie d’un peuple nombreux. N’ayez donc pas peur maintenant ; je vais pourvoir à tous vos besoins et à ceux de toutes vos familles. »
Il les consola et parla à leur cœur.
Joseph habita en Égypte, lui et toute la maison de son père. Il vécut cent dix ans.
Joseph vit les fils d’Éphraïm jusqu’à la troisième génération ; les fils de Makir, fils de Manassé, naquirent sur les genoux de Joseph.
Joseph dit à ses frères : « Je vais mourir. Mais Dieu interviendra en votre faveur ; il vous fera monter de ce pays-ci vers le pays qu’il a promis par serment à Abraham, à Isaac et à Jacob. » Joseph fit prêter serment aux fils d’Israël, en disant : « Quand Dieu interviendra en votre faveur, vous emporterez d’ici mes ossements. »
Joseph mourut à l’âge de cent dix ans. On l’embauma et on le mit dans un cercueil en Égypte.
Prédication (suite), par la pasteure Marie-Pierre Cournot :
Les onze frères de Joseph ne devaient tout de même pas dormir sur leur deux oreilles pendant tout ce temps en Égypte. Dès que leur père est mort ils craignent que le patriarche n’étant plus là pour assurer la cohésion de la famille, Joseph s’en prenne à eux et leur fasse payer leur volonté de le tuer à l’origine de sa déportation en Égypte. Ils demandent pardon à Joseph sous couvert d’une volonté de leur père mort, volonté dont nous ne savons rien.
Ils se proposent même de devenir les esclaves de Joseph, tellement ils ont peur de sa vengeance.
Joseph leur répond : « N’ayez pas peur : suis-je à la place de Dieu ? ».
Car il s’agit bien d’une question de place.
Joseph considère que ce n’est pas à lui de régler les comptes, pas à lui de régenter ses frères.
Toute cette aventure, loin d’avoir fait gonfler son orgueil, l’a fait se placer au même niveau que ses frères, retrouver son rang dans la fratrie.
Il a dû pour ça, être esclave, en terre étrangère, être emprisonné, s’adapter, composer avec un certains nombres de ses convictions, et finir par être un des dirigeants de l’Égypte, cette puissance étrangère – toutefois présentée très positivement dans cette histoire. Et grâce à cette position, il peut sauver la vie de ses frères et partant de toute leur descendance, celle qui constituera le futur peuple hébreu.
Ce qu’il a en plus, il l’offre, le met au service de ses persécuteurs.
Joseph, celui que ses frères voyaient comme celui auquel Dieu en avait ajouté, c’est en perdant tout qu’il a gagné cette sagesse et se désintéressement, trouvé sa juste place, sans rien en moins, sans rien en plus.
Il dit cette phrase merveilleuse : « Le mal que vous comptiez me faire, Dieu comptait en faire du bien ».
Les frères avaient projeté de le tuer, mais il devient le personnage le plus influent du royaume après Pharaon. Et dans la bouche de Joseph, tout devient dessein de Dieu.
S’en est fini de cette conviction, de ce dogme, que les bonnes actions entraînent des bonnes conséquences et un retentissement positif pour celui qui les fait. Et que les mauvaises actions ne donnent lieu qu’à des calamités et des épreuves.
Ici, ceux qui ont mal agit sont récompensés.
Et si l’on se risque à évaluer le poids d’une vie, ils sont récompensés à une hauteur qui dépasse largement leur faute puisque tout un peuple survivra grâce à leur funeste plan qui ne concernait qu’une seule personne.
Même nos plus basses pulsions, Dieu réussi à les détourner, à en faire du positif, pour que nous ne soyons pas anéantis par ce mal que nous voudrions faire.
Cela n’empêchent pas les malheurs, bien sûr. Car il va en traverser des malheurs Joseph !
Mais avec une certitude qui doucement va s’installer, que ce qu’il y a en nous de mauvais et que nous n’arrivons pas à dépasser, la confiance en Dieu peut nous permettre de le dépasser malgré nous.
Même Joseph, finalement pardonne à ses frères.
Il est allé le chercher loin Joseph ce pardon à offrir. Pas au fond de lui-même, c’est un pardon qui vient d’ailleurs.
Il est allé le cherché au fond des prisons d’Égypte et dans les ors des palais égyptiens.
Là où, au fil de toute une série de coups de théâtre et de rebondissements, Dieu permet à chacun de se retrouver à sa place, sans rien penser qu’on a en moins, sans rien vouloir en plus.
Ce pardon n’est pas l’aboutissement heureux d’une difficile relation de famille où chacun a fait des efforts. C’est un pardon qui vient d’ailleurs. D’un dépassement que Dieu nous offre.
Oui, finalement, Joseph, « il ajoute ».
Il nous montre cette infinie capacité de Dieu a toujours nous rattraper par la main pour que nos erreurs ne se retournent pas contre nous ni contre les autres.
Inutile de rester calfeutrés chez nous, comme les frères de Joseph, qui seront bientôt poussés dehors par la famine. C’est en quittant tout, en partant en exil, que Joseph a trouvé le chemin vers Dieu.
Dieu peut nous trouver partout !
Pour nous dire et nous redire que la vie, que le monde, que son amour ne s’arrêtent pas, ne sont pas réductibles à ce que nous avons en moins ou en plus.
Amen