Revoir le culte du 5 décembre : Un baptême pour une volte-face

Luc 3,1-6:

La quinzième année du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate était gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de la Galilée, son frère Philippe tétrarque du territoire de l’Iturée et de la Trachonite, Lysanias tétrarque de l’Abilène, et Anne et Caïphe étaient grands-prêtres.

C’est alors que la parole de Dieu fut adressée à Jean, fils de Zacharie, dans le désert, et Jean parcourut toute la région du Jourdain ; il prêchait le baptême de repentance pour le pardon des péchés, conformément à ce qui est écrit dans le livre des paroles du prophète Ésaïe :
« C’est la voix de celui qui crie dans le désert :
‘Préparez le chemin du Seigneur, rendez ses sentiers droits.
Toute vallée sera comblée, toute montagne et toute colline seront abaissées ;
ce qui est tortueux sera redressé et les chemins rocailleux seront aplanis.
et tout homme verra le salut de Dieu.’ »

Prédication par Nathalie Martin Derore, bibliste à l’Institut catholique de Paris :

1- Une avalanche de noms propres !

C’est ainsi que commence le texte de Luc. Certes, il s’agit pour l’évangéliste de situer la prédication de Jean le Baptiste à un moment bien précis de l’histoire humaine. En l’occurrence, la 15è année du gouvernement de l’empereur romain Tibère correspond aux années 27-28 de notre ère. Cette référence aurait suffi. Mais Luc ne s’en tient pas là et ajoute des précisions sur les quatre gouverneurs, appelés tétrarques, qui se partagent la Palestine des deux côtés du Jourdain. À la mort d’Hérode le Grand, son royaume se trouve partagé entre ses fils : Hérode Antipas, c’est lui dont il est question ici, se voit confier la Galilée en deçà du Jourdain et la Pérée au-delà ; son frère, Philippe II, reçoit la région située au Nord-Est de la Galilée ; Archélaüs, un 3è fils d’Hérode, hérite de la Judée mais il est destitué par les Romains qui la confient au préfet Ponce Pilate. Enfin Lysanias, souverain obscur, gouverne l’Abilène tout au Nord. Luc mentionne également le pouvoir religieux représenté par les grands prêtres Caïphe et son beau-père, Anne. Or, pour les contemporains de Luc et pour nous, auditeurs d’aujourd’hui, tous ces noms sonnent comme des glas annonciateurs de mort. En effet, Hérode Antipas fera emprisonner puis décapiter Jean. Jésus comparaitra devant les puissants cités ici. Dans l’évangile de Luc, ce sera d’abord devant le Sanhédrin, dont les grands-prêtres font partie, puis devant Hérode, « ce renard » selon le mot de Jésus, enfin devant Ponce Pilate. Tous auront donc leur part de responsabilité dans l’arrestation et la mort de Jésus. On comprend que Luc, dès ce chapitre 3, projette déjà son lecteur dans la tragédie finale.

2- Une parole de Dieu

Après cette énumération quelque peu effrayante d’hommes au pouvoir redoutable, la suite du texte forme un contraste saisissant : « Surgit une parole de Dieu sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert ». Présenté ainsi, Jean semble bien faible et démuni, bien seul, réduit à une voix unique, semblant parler dans le vide, sans auditeurs pour l’entendre. Ne nous y trompons pas. Cette tournure « surgit une parole de Dieu sur » est celle utilisée dans le 1er Testament pour exprimer la parole de Dieu qui tombe sur le prophète chargé de la divulguer. C’est dire qu’elle est importante et digne d’être écoutée avec attention. C’est aussi la parole d’un fils, le fils de Zacharie qui, rempli du Saint Esprit, a déjà lui-même prophétisé, à la naissance de Jean, au premier chapitre de l’évangile. Il a qualifié Jean de « prophète du Très-Haut » avec pour tâche de « préparer les chemins du Seigneur », les chemins d’un autre Fils et quel Fils !… Les foules ne vont pas tarder à emplir le désert, à aller à la rencontre de Jean, puis de Jésus.

3- Le désert

La notation du désert et sa répétition est riche de multiples échos. Ici, le désert représente pour Jean-Baptiste le lieu de sa prédication, dans « toute la région du Jourdain » dit le texte, c’est-à-dire à la frontière de la Terre promise comme autrefois pour Josué. C’est dire à quel  point Jean-Baptiste est loin de Jérusalem, du Temple et de ses rites, incarnés par Anne et Caïphe ; mais il s’approche de l’entrée en terre de Jésus et du Royaume que sa Pâque annoncera. Le désert est aussi celui que chante Ésaie au chapitre 40, repris ici : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ». C’est par cette parole qu’Ésaïe console la population exilée à Babylone en l’invitant à emprunter le chemin du désert pour revenir de Babylone à Jérusalem quand Cyrus les aura délivrés en 539 avant notre ère. Et, en effet, ce désert a déjà été le lieu de libération de leurs ancêtres sortis du pays d’Égypte et prenant le chemin de l’exode. Lieu de la manne aussi. Marie-Pierre l’a évoqué la semaine dernière. Plus avant, dans l’évangile de Luc, au chapitre 4, le désert sera, pour Jésus, le lieu des tentations auxquelles il résistera, confirmant ainsi son dépouillement et sa vocation de Fils de Dieu.

De fait, ce désert est loin d’être stérile : Jean y « prêche le baptême de repentance » nous dit le texte. Mot à mot, en grec : « un baptême de retournement ». Le baptême est plongée, immersion dans l’eau, cette eau si précieuse en pays désertique. C’est un baptême de métanoia, c’est-à-dire de changement d’état d’esprit, de façon de penser et d’agir ; on adopte un autre point de vue. En hébreu, c’est la teshuva : physiquement, le corps fait demi-tour pour s’ouvrir à Dieu et lui répondre. Le corps se rend compte qu’il a fait fausse route et qu’il doit changer de direction. On pourrait parler d’« un baptême pour une volte-face ». C’est bien ce que les Hébreux ont éprouvé plusieurs fois au désert, avant de trouver la route de la Terre promise.

Juste après notre passage, aux foules venues se faire baptiser, Jean précise en quoi consiste ce retournement, de façon concrète. « L’engeance de vipères », comme il les nomme, en prend pour son grade ! Jean les appelle à la justice sous ses formes multiples ; à tous il demande de partager vêtements et nourriture avec les plus démunis. On sait qu’il est lui-même un exemple de sobriété radicale. Aux collecteurs d’impôts, il répond de ne pas profiter de leur fonction pour abuser les gens. Les soldats, eux, sont sommés de ne pas faire usage de violence et de ne pas chercher à arrondir leur solde. Il s’agit de « produire des fruits qui témoignent du changement », comme le dit Luc un peu plus loin[1]. Pas de paroles, des actes !

4- Quelle espérance ?

L’enjeu est de taille. Ce baptême de retournement conduit au « pardon des péchés », et au « salut ». Le « pardon », c’est l’aphésis, « la libération » que procurera Jésus à tous ceux qui viendront l’implorer de les délivrer d’un mal physique ou moral. Ce même mot est repris deux fois dans ce qu’on peut appeler sa prédication programmatique à la synagogue de Nazareth quand il lit un passage du prophète Ésaïe – à nouveau Ésaïe ! – : « libération pour les captifs », « libération pour les victimes de traumatismes » !

C’est bien cette libération qui est annoncée dans le dernier verset de notre texte : « Toute chair (= tout être humain) verra le salut de Dieu ». Ésaïe parle de « la gloire du Seigneur », Luc dit, à la place, « le salut de Dieu ». Ce salut sera apporté par la Croix et la Résurrection de Jésus.

5- Retournons-nous !

Difficile aujourd’hui d’écouter la voix du désert quand on est assaillis par les bruits du monde ambiant : annonces journalières catastrophiques autour de l’immigration, du climat, de la pandémie, des violences de toutes sortes ; rivalités entre les états au niveau économique, politique, religieux, médiatique, territorial. Même l’espace céleste est devenu un objet de convoitise insensé ! La tentation est grande de se laisser entraîner par cette volonté de puissance mortifère des puissants de toutes sortes. En tentant de satisfaire leur désir pour nous adapter continuellement à ce monde changeant et tourbillonnant, nous contribuons parfois à créer nos propres enfermements. Revenir à Dieu, c’est déceler dans le silence du désert quelles sont ces montagnes qui se dressent devant moi, ou même en moi, parce que c’est moi qui ai accepté de les faire se dresser et qui refuse de les aplanir pour rencontrer le Seigneur sur du plat, en face à face. Ce sont mes soucis qui deviennent des montagnes. Mes solitudes se transforment en ravins dans lesquels je m’enlise. Chemins tortueux de nos esprits compliqués. Voies raboteuses quand nous nous faisons plus de mal que de bien.

Tout au contraire, Jean nous invite à élargir notre regard pour lisser les aspérités qui nous entravent et nous empêchent d’avancer. C’est au sein même d’un contexte de mort que jaillissent la vie et l’espérance. Tournons-nous vers les autres, chrétiens ou non, partageons, ne désirons pas plus que ce que nous recevons, comme nous y invite Jean. Le salut promis à tous, notre espérance, engage notre responsabilité à la fois collective et individuelle, au plus profond de notre être : « Toute chair verra le salut de Dieu ». En cette période de l’Avent, soyons dans cette attente active, altruiste et constructive de la venue du seul puissant qui vaille, notre Seigneur, Jésus, Christ.

Amen


[1] Luc 3,8

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