Revoir le culte du 6 mars 2022, Job et le mystère du mal

Prédication par Guillaume Chazel sur Job 38 et 39 :

Nous allons parler du livre de Job, et plus particulièrement d’un texte qui se trouve à la fin du livre de Job, et qu’on appelle : le discours de Dieu.

Quelques mots pour se rafraîchir la mémoire sur le livre de Job.

Au cœur du livre, il y a un problème, un mystère. On l’appelle le mystère du mal : Job est un juste. Il respecte Dieu. Et il est riche, respecté et heureux. Un jour, Satan demande à Dieu si par hasard Job n’aimerait pas Dieu par intérêt, pour la richesse, le bonheur dont il bénéficie, et propose de le vérifier. Dieu accepte. Les enfants de Job sont tués, Job perd tout : richesses, reconnaissance sociale,  puis il tombe malade.

Alors il se révolte. Pourquoi est-ce que je souffre si je suis juste ?

Il faut bien comprendre d’ailleurs que la question de Job, ce qu’on appelle le problème ou le mystère du mal, ce n’est pas l existence de la souffrance elle-même. C’est le sens de la souffrance. En effet, pour Job et ses amis, Le monde est juste, Dieu est juste, donc les justes doivent être récompensés, et les méchants punis. C’est ce qu’on appelle la théologie de la rétribution.

Vous l’avez compris, Selon cette théologie Job étant juste, ne devrait pas être la victime  qu’il est pourtant. Donc il accuse Dieu, qui selon lui l’a trompé.

Le texte du discours de Dieu ferme presque le livre de Job.

Au début Job accepte sa peine. «  L’Eternel a donné, l’Eternel a repris, que le nom de l’Eternel soit béni.». Puis il se tait, puis la plainte de Job commence. Pendant près de 30 chapitres Job crie, de plus en plus fort : pourquoi suis-je né, pourquoi Dieu ne m’va-t-il pas ôté la vie dans le ventre de ma mère,  il conteste les propos de ses amis qui lui disent que vu ce qui lui arrive, il a bien du commettre une faute. Puis il alterne les plaintes, les cris d’amour et de foi pour Dieu, mais aussi de cris de colère, de demande de justice. Un texte extraordinaire.

Puis Dieu prend la parole.

Il y a 3 discours de Dieu : je vais vous lire 2 extraits des deux premiers.

Job 38

1 L’Éternel répondit à Job du milieu de la tempête et dit:
2 Qui est celui qui obscurcit mes desseins Par des discours sans intelligence?
3 Ceins tes reins comme un vaillant homme; Je t’interrogerai, et tu m’instruiras.
4 Où étais-tu quand je fondais la terre? Dis-le, si tu as de l’intelligence.
5 Qui en a fixé les dimensions, le sais-tu? Ou qui a étendu sur elle le cordeau?
6 Sur quoi ses bases sont-elles appuyées? Ou qui en a posé la pierre angulaire,
7 Alors que les étoiles du matin éclataient en chants d’allégresse, Et que tous les fils de Dieu poussaient des cris de joie?
8 Qui a fermé la mer avec des portes, Quand elle s’élança du sein maternel;
9 Quand je fis de la nuée son vêtement, Et de l’obscurité ses langes;
10 Quand je lui imposai ma loi, Et que je lui mis des barrières et des portes;
11 Quand je dis: Tu viendras jusqu’ici, tu n’iras pas au delà; Ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots?

Job 38 :39 à 41, puis 39.1 à 4.

39  Chasses-tu la proie pour la lionne, Et apaises-tu la faim des lionceaux,
40  Quand ils sont couchés dans leur tanière, Quand ils sont en embuscade dans leur repaire?
41 Qui prépare au corbeau sa pâture, Quand ses petits crient vers Dieu, Quand ils sont errants et affamés?

1  Sais-tu quand les chèvres sauvages font leurs petits? Observes-tu les biches quand elles mettent bas?
2  Comptes-tu les mois pendant lesquels elles portent, Et connais-tu l’époque où elles enfantent?
3  Elles se courbent, laissent échapper leur progéniture, Et sont délivrées de leurs douleurs.
4 Leurs petits prennent de la vigueur et grandissent en plein air, Ils s’éloignent et ne reviennent plus auprès d’elles.

Au premier abord, ce discours de Dieu est déconcertant. 

Job souffre et se plaint comme peu d’hommes dans l’ancien testament, et Dieu glose sur des phénomènes météorologiques, des lions, des chèvres et des corbeaux, entre autres. Certains lecteurs modernes y ont d ailleurs vu une forme de mépris de Dieu pour Job, sa souffrance et ses questions.

Bien sûr ce n’est pas si simple. Comme souvent avec la bible, on a une question, et le texte n’apporte pas de réponse. Nous le savons, le texte biblique n’est pas un livre de philosophie, c’est un livre qui parle de la façon dont des hommes ont, pendant des centaines d’années, vécu leur relation  avec Dieu.

La bible est plutôt un livre qui nous pose toujours un peu la même question : et toi, quelle est ta relation avec Dieu, que vas-tu en faire dans ta vie ?

Regardons le texte d’un peu plus près.

D’abord Dieu répond. Après trente chapitres de plaintes, nous lisons : « L’Éternel répondit à Job du milieu de la tempête

Une voix émerge de la tempête,  peut être réelle mais aussi des cris, de la tempête émotionnelle que traverse Job.

Dieu parle et soudain il fait plus clair.

En effet, Dieu a bien entendu Job et très bien compris la violence de ses propos à son égard : «  Qui est celui qui obscurcit mes desseins Par des discours sans intelligence ? » Mais il admet la valeur de Job, son courage »  Ceins tes reins comme un vaillant homme»

Enfin, il lui propose de discuter, d’écouter son point de vue, il lui dit « je vais t’interroger et tu m’instruiras ».

C est une entrée en matière étonnante.

Face à des propos aussi terribles que ceux de Job, on aurait pu imaginer un Dieu courroucé, qui pulvérise Job d’un trait de foudre, mais non. Dieu prend acte des propos de Job, il s’en étonne, mais il ne lui impose pas son point de vue. Il lui propose de causer, de raisonner même.

Face à Dieu, pour Dieu, et même si il le conteste violemment, Job reste un homme libre, digne d être écouté.Voilà la relation que propose Dieu à Job au début du discours.

Pour autant, nous comprenons très vite qu’il n’est pas question d’échange entre égaux.

Toutes les questions que pose Dieu à Job le renvoient à sa petitesse ou à son ignorance : «  Où étais-tu quand je fondais la terre? Dis-le, si tu as de l’intelligence. ». Dieu remet Job à sa place. Lui qui auparavant voulait convoquer Dieu au tribunal est remis à sa place. Dieu est Dieu, et Job est sa créature.

Puis Dieu, dans ses questions, évoque la création, une création magnifique, et peut être une création originale par certains aspects.

Elle est tout d’abord spectaculaire : « Qui a fermé la mer avec des portes, Quand elle s’élança du sein maternel, quand je fis de la nuée son vêtement, et de l’obscurité ses langes; »
Puis elle est exubérante, énergique et sauvage « Chasses-tu la proie pour la lionne, et apaises-tu la faim des lionceaux,
quand ils sont couchés dans leur tanière, quand ils sont en embuscade dans leur repaire? »

Un autre point, plus important peut être,  la création que Dieu présente à Job ici est assez dure pour ses créatures. Les enfants des corbeaux et des lions souffrent de la faim, et je reviens vers les biches, qui souffrent encore plus : « Observes-tu les biches quand elles mettent bas?
Comptes-tu les mois pendant lesquels elles portent, Et connais-tu l’époque où elles enfantent?
Elles se courbent, laissent échapper leur progéniture, Et sont délivrées de leurs douleurs.
Leurs petits prennent de la vigueur et grandissent en plein air, Ils s’éloignent et ne reviennent plus auprès d’elles. »

Derrière la dureté de la description de la vie de ces biches, On entend une vraie tendresse, une empathie de Dieu pour sa création ou ses créatures.

Est ce Dieu le Père ou Dieu la Mère qui parle ici, les deux probablement ?

Et alors que Job se plaignait et regrettait d’être né, Dieu lui dit : certes ma création est parfois violente ou dure, mais c est l ordre des choses. Et surtout, elle est vigoureuse et belle et je l aime. Tu n’as pas à regretter d’être né, à vouloir rejeter ce que je te propose. Accepte ce monde qui t’es donné et aime-le.

Ici, selon le narrateur du livre, Job est convaincu. Il s’incline.

Et nous, ici, et vous, êtes-vous convaincus par le discours de Dieu ?

Peut-être. Pourtant, il me semble qu’il peut vous rester comme une insatisfaction. 

En effet, ce que Dieu a expliqué à Job, ou du moins ce que nous avons cru en comprendre, c’est une création ou la souffrance, le mal, existent certes,  mais comme un élément de l’équilibre général de la création.

Or, ce qui torture Job, nous nous le sommes dit tout à l’heure,  ce n’est pas le mal, c’est la souffrance injuste. C’est la souffrance de l’innocent. 

Et nous ne pouvons admettre que la souffrance de l’innocent soit un élément de l’équilibre général de la création.

Pourquoi Job, juste, souffre-t-il ? Ou : pourquoi la douleur et la mort d’enfants. Ces jours ci, on pourrait dire : pourquoi la souffrance des ukrainiens ?

Ces questions restent brûlantes.

Alors  reprenons notre réflexion.

Vous avez probablement noté qu’il y a deux termes au problème du mal.

D’un côté un monde parfois très dur, surtout pour le petit, le faible et de l’autre Dieu, un Dieu réputé juste, rétributeur pour les amis de Job, un Dieu de paix et d’amour pour nous.

Le mystère du mal se pose pour nous exactement comme pour Job.

On pourrait se demander si une part du problème que pose Job ne vient pas du second terme du problème, de ces qualificatifs, de ces images en fait que nous nous donnons de Dieu ? Dieu Juste, rétributeur, ou aujourd’hui Dieu bon, Dieu d’amour et de paix.

On pourrait se demander si ces mots que nous associons à Dieu ne  sont pas aussi des images, que nous nous donnons, qui nous plaisent et qui sont un peu réductrices.

Mais Dieu n’est pas ce que nous voulons qu’il soit. Il est tout autre, inconnu, au-delà de toute connaissance. Lui donner un trait de caractère : juste, ou même bon, miséricordieuc,  c’est comme lui donner un nom, c’est déjà tenter de l’enfermer, de le réduire.

Comprenons-nous bien. Il ne s’agit pas d’exclure que Dieu soit juste, bon ou miséricordieux,  il s’agit plutôt de dire que Dieu n’est pas que cela, et surtout qu’il est au-delà de ce que nous pouvons en dire et au-delà de tout jugement.

Mais surtout, ce qui me semble important ici, c’est que Job, lui, n ajuste pas son image de Dieu pour trouver une réponse à sa question. Il ne choisit pas la facilité.

A aucun moment, Job ne change de représentation de Dieu pour régler le problème du mal.

 Non, par contre  Job continue de se plaindre,  de tempêter, d’accuser Dieu, de plus en plus fort. Jusqu’ à ce que Dieu prenne la parole.

Et nous l’avons vu, Dieu a pris acte de la critique de Job. Il ne l’a pas acceptée  mais il a accepté d’y répondre.

Alors, pour finir,  peut être que une piste pour réfléchir au problème du mal est là, c’est de faire cela, de suivre Job, ses refus, ses récriminations, sa colère contre Dieu, même si il y a de l’outrance, même si nous n’en avons pas l’habitude De lui parler comme ça.

Une autre piste serait de lire son histoire, de la ruminer, vigoureusement.

C’est un peu difficile à admettre pour des chrétiens raisonnables et tempérés,  mais peut être que pour tenter de comprendre, d’éclairer le mystère du mal, il faut continuer, comme Job et après Job, à questionner Dieu sans trêve et surtout sans faire de concession intellectuelle trop facile.

Comme le dit Jean Guitton, que je cite à peu près pour finir :

Le livre de Job donne un admirable exemple de ce que doit être une réflexion sur un mystère.

Ne pas anticiper sur la solution, ne pas vouloir trop de lumière, ne pas se complaire dans les systèmes quand ils sont contraires à l expérience quotidienne.

Préférer le vif, le cuisant du vrai à toutes les théories, attendre dans la paix, la prière, la souffrance du corps et de l esprit que les contradictions s accordent.  

Etre vrai, être soi, douter, se mettre en colère et se  faire pardonner ses doutes et ses colères. 

Mêler la poésie,  la réflexion et la prière.

Beaucoup de nos contemporains, croyants ou non, se reconnaîtront dans le vieil homme. 

Amen. 

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